Il y a beaucoup à critiquer dans le gouvernement Harper, mais on peut le faire sans diaboliser le personnage, comme nombre de gens le font couramment depuis des mois.

L'affaire Duffy ? C'est un épisode qui, dans n'importe quel pays européen, serait éclipsé par des scandales autrement graves.

Le comportement autocratique de Stephen Harper ? Indéniable, mais pas unique. Tous les premiers ministres canadiens avaient la fibre autoritaire (il en faut une, d'ailleurs, pour se rendre jusqu'à ce poste). Même Brian Mulroney avait une main de fer (revêtue toutefois d'un gant de velours). M. Harper a poussé le besoin de contrôle et le culte du secret à un degré particulièrement élevé.

Son manque de sens diplomatique ? C'est un problème réel, et je ne me suis pas privée de le souligner, notamment dans ma chronique du 1er octobre, sous le titre « International : un bilan consternant ».

Mais si M. Harper n'a pas brillé sur la scène internationale, il n'est tout de même pas une « honte nationale ». Jean Chrétien aussi a commis des gaffes retentissantes, notamment au Proche-Orient.

Contrairement à ce qu'on a craint, Stephen Harper a tenu en laisse les réactionnaires de son parti. Avortement, peine capitale, mariage gai : aucun de ces sujets n'est revenu au feuilleton. Il leur a toutefois emprunté une méfiance irrationnelle envers les chercheurs (abolition du questionnaire long du recensement, diminution de l'expertise scientifique dans l'administration publique).

À son crédit, le respect qu'il affiche pour le français (où qu'il se trouve, il commence tous ses discours en français) et le fait que, de tous les premiers ministres de l'ère contemporaine (sauf M. Mulroney), c'est celui qui a le plus évité d'empiéter sur les compétences provinciales... contrairement aux libéraux et aux néo-démocrates, qui brûlent d'envie d'intervenir dans l'éducation (les garderies du NPD) et la santé (le PLC augmenterait le nombre de médecins).

Le gouvernement Harper a raisonnablement géré l'économie. Tous les pays européens envient la façon dont le Canada a triomphé des crises financières. Il a amené le pays dans deux grandes zones de libre-échange (l'Europe et le Pacifique).

Quant à ses rapports tendus avec la Cour suprême, l'affaire se discute. Le « gouvernement par les juges » entraîne aussi de sérieux problèmes de représentation démocratique.

Le pire aspect du gouvernement Harper, c'est sa conception répressive du système pénal.

À l'heure où même les États-Unis remettent en question les sentences trop dures, le Canada a choisi des politiques punitives, inhumaines et inefficaces.

Notre système reposait sur deux socles : l'obligation de punir le crime et de protéger la société, et celui d'offrir aux détenus des possibilités de réhabilitation. Or, le gouvernement Harper a imposé coup sur coup les sentences minimales pour toutes sortes de délits, les sentences de prison à vie consécutives sans possibilité de réhabilitation (trois meurtres, 75 ans d'enfermement !), et aujourd'hui, le voilà qui menace de retirer la citoyenneté canadienne aux terroristes qui auraient une double citoyenneté.

C'est une mesure analogue à l'exil ou au bannissement promulgués au Moyen Âge. Ce serait créer deux classes de citoyens. Ce serait envoyer des citoyens canadiens au bûcher, dans des pays qu'ils ont fui ou qu'ils ne connaissent pas. Ce serait, surtout, priver les individus jugés coupables de terrorisme de toute possibilité de réhabilitation. Qui dit qu'un djihadiste de 22 ans n'est pas susceptible de changer, à terme, si on lui en offre les moyens ?

Hélas, tout comme l'exploitation démagogique du niqab, ces mesures seront probablement populaires. Cela ne veut pas dire qu'elles sont justes.

Il reste que, dans l'ensemble, il est faux de croire qu'en 2006, le Canada serait passé d'un âge d'or à la Grande Noirceur, comme le disent les libéraux, qui ont toujours cru que le pouvoir leur revenait de droit divin.