Chroniqueuse à La Presse, Lysiane Gagnon a été aux premières loges des campagnes référendaires de 1980 et 1995. À l'aube du 20e anniversaire du deuxième référendum sur la souveraineté, elle publie cette semaine Chroniques référendaires - Les leçons des référendums de 1980 et 1995. En voici un extrait, originellement publié le 28 octobre 1995.

Quoi qu'il arrive, la moitié du Québec sera en deuil lundi prochain, et je ne sais pas laquelle des deux douleurs sera la plus pénible à voir : celle des Québécois qui auront perdu leur dernière chance de toucher au pays rêvé ou celle des Québécois qui auront vu leur part de l'héritage canadien leur glisser d'entre les mains.

Si, comme l'annoncent les sondages, le camp vainqueur l'emporte par une marge aussi fine que du papier de soie, la frustration du perdant sera à la limite du tolérable... avec ce que cela comporte de conséquences pour le tissu social déjà fragile de Montréal.

J'écoutais l'autre soir au rallye du OUI, à Verdun, Jacques Parizeau parlant à ses militants, les suppliant d'aller chercher chacun un vote. « Le pays, vous le tenez entre vos mains... presque. »

On sentait l'urgence, la tension surhumaine vers l'idéal enfin à portée de main. Il y a deux semaines maintenant que les souverainistes ont des raisons de croire qu'ils ont une bonne chance de l'emporter. S'il fallait que cette victoire tant désirée leur soit dérobée par une faible marge, on n'ose penser à leur colère, à leur chagrin.

Je voyais l'autre soir, au rallye du NON, à Verdun, la foule se pressant autour de l'auditorium, immobile sous la pluie, les pieds enfoncés dans la tourbe boueuse, en état de choc comme les victimes incrédules d'un accident majeur, n'osant croire au malheur qu'annonçaient les sondages. S'il fallait qu'on leur apprenne, lundi, qu'ils perdront leur identité canadienne à moins de s'exiler du Québec, on n'ose penser à leur colère, à leur ­chagrin.

Il y a des semaines que je compte les jours. Vivement le 30 octobre, me disais-je, qu'on en finisse avec cette campagne qui divise les familles, dresse des amis d'enfance les uns contre les autres, et qui nous plonge dans un enfer d'insultes, de menaces et de haine. Mais plus les jours passaient, plus je voyais se dessiner l'insoutenable image d'un Québec coupé en deux parts égales, plus je souhaitais que ce jour-là disparaisse de nos vies.

Cette soirée du 30 octobre pourrait marquer le début d'une crise sans fin, le début du premier grand déchirement d'une contrée qui a jusqu'ici échappé aux vraies souffrances. Comme l'adulte jusque-là heureux perdant soudain sa mère. Ou son père. Le premier deuil.

Perdre le Québec vu comme un pays complet. Ou perdre le Canada. Qui veut choisir entre son père et sa mère ? Qui veut se faire arracher le coeur ? C'est pour cela que les gens n'en voulaient pas, de ce référendum.

C'est pour cela qu'ils en parlaient si peu, il y a seulement un mois, comme s'ils espéraient qu'en n'en parlant pas, le référendum se volatiliserait... mais c'était, bien sûr, avant le surprenant décollage de la campagne du OUI, avant ce puissant feu de brousse qui embrase la terre du Québec, enchantant les uns et terrifiant les autres. Les uns voient la terre illuminée, les autres voient la terre brûlée.

Il faut pourtant voter, il faut pourtant choisir. Mais d'abord, débroussaillons le terrain de cette histoire de partenariat.

Advenant l'indépendance, il y aura, c'est évident, des négociations entre les deux pays - arrangements commerciaux, ententes sur le partage de la dette, etc. Mais l'union politique, la citoyenneté commune, les pouvoirs partagés moitié-moitié entre deux pays dont l'un est trois fois plus gros que l'autre ? Oubliez ça. C'est un écran de fumée.

Votez OUI et vous votez pour que le Québec devienne un pays indépendant. C'est possible, c'est faisable, c'est un défi exaltant. L'indépendance serait effectivement l'aboutissement logique d'une longue démarche, l'unique façon de donner à la nation canadienne-française, aujourd'hui principalement concentrée sur le territoire du Québec, un pays doté de tous les pouvoirs.

Si c'est cela qu'on veut, eh bien, c'est aujourd'hui ou jamais ! On ne va quand même pas s'infliger pareille épreuve à tous les 10 ans !

Cela implique toutefois que l'on renonce au Canada. Il ne sera pas plus facile d'aller travailler en Alberta ou en Ontario qu'aux États-Unis. Le préjugé favorable qui existe au Canada anglais envers la langue française disparaîtra sous le choc de la sécession.

Votez NON et vous votez pour que le Québec continue à faire partie du Canada. C'est une option plus conservatrice dans la mesure où elle comporte beaucoup moins d'inconnues, dans la mesure aussi où cela nous permet de garder à la fois le Québec, où les francophones restent majoritaires, et tous nos droits au sein du Canada.

Il faut alors, bien sûr, accepter l'idée de rester minoritaires dans un plus gros ensemble. Mais cela aussi peut être un défi exaltant si l'on sait bien utiliser nos talents et l'influence réelle que nous donne le poids politique du Québec.

Il y a autre chose : l'instinct. Avant de faire votre croix, fermez les yeux. Imaginez comment vous vous sentirez, mardi matin, si le OUI passe. Imaginez comment vous vous sentirez, mardi matin, si le NON passe.

Peut-être êtes-vous nombreux à dire que d'un côté comme de l'autre, vous serez malheureux, ne serait-ce que par empathie pour ceux de vos proches qui auront voté différemment. Mais quand même, reportez-vous à mardi matin... L'un des deux résultats vous laissera plus serein, plus heureux, moins triste ou moins inquiet.

Oubliez les grands mots. Oubliez les clichés politiciens. Vous votez pour vous, seulement pour vous. Vous ne votez même pas pour vos enfants. Ils sont assez grands pour faire leur choix tout seuls s'ils ont le droit de vote. S'ils sont encore trop jeunes pour voter, ils affronteront de toute façon, dans 20 ans, des défis dont vous n'avez même pas idée.

Votez pour vous seul(e). Le vote est un acte solitaire, un geste d'homme et de femme libre, et les deux options sont ­également honorables.