Où en sont les trois principaux partis, à mi-campagne ? On peut avoir l'impression qu'ils font du sur-place, étant donné que les sondages les montrent à peu près nez à nez, les écarts étant souvent inférieurs à la marge d'erreur.

Il s'est pourtant produit, depuis le début de la campagne, de très nettes évolutions. La plus importante est la tranquille remontée de Justin Trudeau, qu'on jugeait trop fragile pour affronter les adversaires coriaces que sont Stephen Harper et Thomas Mulcair.

Contrairement aux attentes, qui dans son cas étaient extrêmement basses, il ne s'est pas effondré, il n'a pas proféré de sottises, il s'est convenablement tiré du premier débat en anglais. C'était déjà, pour le PLC, une heureuse surprise.

Les libéraux ne peuvent espérer grand-chose au Québec : ils ont beau être en deuxième place, leurs appuis sont concentrés dans des circonscriptions à majorité non francophone, et la récolte sera mince. Selon un sondage du NPD publié hier, M. Trudeau serait de 11 points derrière Anne Lagacé Dowson dans sa circonscription de Papineau. Mais le Parti libéral est en progression en Ontario - là où ça compte -, en partie grâce à l'appui des troupes de la première ministre libérale Kathleen Wynne et aux interventions de Jean Chrétien, toujours très prisées au Canada anglais.

Dernier coup de pub, le fils de l'autre s'est fait photographier en train d'avironner dans un canot flambant rouge sur la Bow River, évoquant les fameuses photos de Pierre Elliott Trudeau en coureur des bois... de quoi provoquer de délicieux frissons dans les chaumières où flotte toujours la nostalgie du grand homme.

Le NPD, à l'abri de sa forteresse québécoise, est également premier en Colombie-Britannique, mais il n'a pu percer le mur de la plus grosse province.

Les Ontariens ont manifestement gardé de très mauvais souvenirs du catastrophique gouvernement néo-démocrate de Bob Rae, et le vote anti-Harper se rabat sur la « valeur sûre » du PLC.

Confronté à deux partis de l'opposition qui s'arrachent la même clientèle et à l'hostilité à peine déguisée de nombreux médias, le Parti conservateur reste quand même bien en selle, favorisé par le jeu des vases communicants entre le NPD et le PLC, dont aucun n'a encore réussi à dominer l'ensemble du Canada.

L'affaire Duffy, qui avait fait les manchettes au mois d'août, mettant en relief l'atmosphère de duplicité qui régnait au bureau du premier ministre, est maintenant de l'histoire ancienne. Les nouvelles économiques sont plutôt bonnes, ce qui joue à l'avantage du gouvernement.

Contrairement à ce qu'annonçaient fort imprudemment nombre de commentateurs, la crise des migrants n'a pas nui au gouvernement Harper. Une fois dissipés l'émotion à fleur de peau et les vibrants appels à la compassion, les Canadiens sont loin d'être enclins à souhaiter une augmentation radicale des réfugiés.

Selon un sondage Ipsos, 71 % des Canadiens estiment que la sécurité du pays est prioritaire et veulent que les demandeurs d'asile syriens passent par un filtre destiné à éliminer les terroristes, même si cela ralentit le processus d'accueil.

Un sondage Ekos est dans la même veine : seulement le tiers de la population (incluant environ la moitié des électeurs libéraux et néo-démocrates !) souhaite accueillir plus de réfugiés ; 25 % estiment que le Canada en accueille déjà trop, et 34 % sont satisfaits du système d'accueil actuel.

Le PCC garde le monopole sur l'Alberta et les Prairies, et reste solidement ancré à la deuxième place en Ontario. Au Québec, où il traîne de la patte, ses positions contre le port du niqab dans les cérémonies d'accès à la citoyenneté devraient lui donner un coup de pouce.

Toutefois, les conservateurs font face à un ennemi puissant, peut-être irréductible : la soif de changement de l'électorat après neuf ans de règne Harper. Le suspense demeure...