L'intense émotion populaire déclenchée en Occident par la photo du petit Aylan Kurdi aurait-elle été la même si l'enfant n'avait pas eu la peau blanche, les cheveux bien coupés, un polo rouge et de bonnes chaussures ? Bref, s'il n'avait pas été le portrait de votre enfant, de votre voisin ? Des milliers de petits Africains se noient en Méditerranée sans qu'on en parle...

Soyons justes, les photos des enfants squelettiques du Biafra, victimes d'une terrible famine en 1967, avaient déclenché d'immenses vagues de sympathie à travers le monde. Mais alors, il ne s'agissait que d'envoyer de l'argent, des denrées, des médecins... bref, d'ouvrir nos portefeuilles, non pas nos portes.

L'Allemagne serait-elle devenue la championne de l'accueil des réfugiés si elle n'avait pas un besoin urgent de main-d'oeuvre et si elle n'était pas menacée d'un dangereux déclin démographique ? Son surprenant sursaut de générosité s'expliquerait-il aussi par le désir d'effacer la tare inoubliable d'un passé pas si lointain ?

Aylan et son petit frère venaient d'une famille relativement prospère au départ. Barbier à Damas (le gagne-pain du père avant les bombes), c'était un bon métier, probablement mieux rémunéré qu'une tâche de professeur. Et les Kurdi avaient de la famille au Canada, prête à aider : pas exactement l'image des hordes faméliques et abandonnées qu'on associe au mot « réfugié ».

En fait, cette vague de migrants - en particulier ceux qui sont venus par la Grèce et la Hongrie - a ceci de particulier qu'il s'agit, à l'évidence, de gens de classe moyenne. On l'a constaté tout l'été alors que les télévisions européennes nous les montraient chaque jour aux bulletins de nouvelles : des familles portant des enfants bien nourris, des hommes rasés de près, bien habillés, des femmes au visage découvert. Ces gens avaient pu payer les 7000 $ requis pour le passage, et plusieurs parlaient anglais, preuve d'un certain niveau d'instruction.

Cela ne veut pas dire qu'ils n'étaient pas d'authentiques réfugiés. La guerre ne déplace pas que les pauvres et en un sens, on peut dire que tous les Syriens, actuellement, sont des réfugiés, comme du reste les Érythréens qui fuient, par la Méditerranée ceux-là, une prison à ciel ouvert.

Nul doute que beaucoup, parmi ces migrants, seront un atout pour les pays d'accueil, comme le sont souvent ceux qui ont assez de courage et d'ambition pour tout risquer pour refaire leur vie. (Même les plus démunis des migrants peuvent être productifs : que deviendrait la restauration à Paris sans les immigrés africains « illégaux » qui font la plonge au fond des cuisines ?)

Par contre, il serait naïf de croire que l'actuelle marée humaine en quête d'asile n'a rien de problématique.

Il s'y trouve aussi des Afghans (dont le pays n'est plus en guerre) et des Pakistanais, un autre foyer du salafisme. Il s'y trouve probablement un nombre indéterminé de djihadistes potentiels, voire quelques djihadistes confirmés, envoyés en mission par le groupe armé État islamique pour semer la terreur en Europe.

D'où la nécessité, pour des gouvernements responsables, de faire un tri et d'ignorer les appels déraisonnables, comme celui que vient de lancer le Haut-Commissaire aux réfugiés de l'ONU, qui juge que les pays européens pourraient accueillir sans problème des centaines de milliers de demandeurs d'asile à court terme. Ce monsieur veut-il voir l'Europe basculer dans le camp de l'extrême droite ?

On évoque souvent, ces temps-ci, l'accueil chaleureux réservé aux boat people des années 70 pour fustiger la prudence des gouvernements, mais la comparaison ne tient pas. Les Vietnamiens fuyaient un régime communiste et ne représentaient aucune menace pour les pays d'accueil. La situation actuelle est beaucoup plus complexe.