On pourrait se réjouir de constater, ne serait-ce que pour se consoler, que nos cousins français sont victimes des mêmes âneries « pédagogistes » que celles qui font depuis des décennies, d'une réforme à l'autre, le malheur du Québec.

Mais on aurait tort. Si la France, notre mère patrie et la patrie des choses de l'esprit, s'avachit culturellement, c'en est fait de la culture québécoise, fille aînée de la culture française... et c'en est fait de notre identité, tant il est vrai que l'identité passe d'abord par l'école.

Voyez comment le Conseil supérieur des programmes désigne les leçons de natation : « construire la capacité à s'équilibrer sans avoir pied, à traverser l'eau avec le moins de résistance en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête ».

L'élève, poursuit-on, devra apprendre « à se déplacer de façon autonome, plus longtemps et plus vite, dans un milieu aquatique profond standardisé » (c'est-à-dire une... piscine). Le badminton ? « Un duel médié par un volant » !

Comment se fier au jugement de pédagogues qui s'expriment dans un tel charabia ?

Le résultat de leurs cogitations se retrouve dans un projet de réforme du collège (les quatre années entre le primaire et le lycée), qui a semé la fureur, à gauche autant qu'à droite. Laxisme, nivellement par le bas, voilà selon Régis Debray « l'école Nutella » qui, sous prétexte de donner une chance à chacun, bat en brèche toute notion d'effort et de dépassement.

Sous prétexte d'égalitarisme, on abolit les sections « internationales » et celles où l'on enseigne deux langues secondes, qui recevaient des élèves doués. Ensuite, on s'étonnera de voir de plus en plus de parents envoyer leurs rejetons à l'école privée plutôt que de les laisser poireauter dans des classes où ils n'apprennent rien.

Hélas, on n'a pas encore compris que pour les enfants de milieux défavorisés, incapables de compter sur les relations de leurs familles, la qualité de leurs diplômes est le seul atout qui puisse leur permettre de se fabriquer un avenir.

Combien de paysans ou de fils d'ouvriers ont vu l'horizon s'éclaircir grâce à l'école républicaine rigoureuse et exigeante qui faisait la grandeur de la France ?

Et pour les élèves rebutés par le travail intellectuel, pourquoi pas des formations professionnelles valorisantes, comme cela se fait en Allemagne ?

Le philosophe Luc Ferry, ancien ministre de l'Éducation, fustige « la place dévastatrice accordée à l'approche thématique au détriment de la chronologie » (un vice qui affecte particulièrement l'enseignement de l'histoire au Québec). Ainsi, la guerre de 14-18 est réduite à un conflit illustrant « les violences de guerre ». « Il ne s'agit plus d'expliquer ou de comprendre, écrit Ferry, mais de susciter l'émotion face à l'horreur. »

Même approche moralisatrice en géographie, où l'obsession du développement durable remplace la connaissance. En français, la France suit l'exemple pervers du Québec : les élèves doivent « se chercher », « se construire », bref, se pencher sur leurs précieuses petites personnes, plutôt que d'étudier les grands auteurs et d'apprendre la grammaire. C'est l'école selfie.

L'enseignement de l'islam, des conquêtes coloniales ou des traites négrières devient obligatoire, alors que l'histoire du christianisme médiéval, de même que celle du siècle des Lumières, sera facultative. On n'en a que pour le prêchi-prêcha et la repentance.

Pour Jacques Julliard et Pierre Nora, deux historiens de gauche - parmi ceux que la ministre de l'Éducation, Najat Vallaud-Belkacem, traite stupidement de « pseudo-intellectuels » - , ce projet exprime, pour l'un, « la gêne d'être français », et pour l'autre, « la plus grande crise identitaire de l'histoire de France ». L'éditorialiste Franz-Olivier Giesbert leur fait écho : « Au train où vont les choses, il y aura des cours pour se faire pardonner d'être Français. »