Les troupes de Thomas Mulcair ne se tenaient plus de joie à l'annonce de la victoire spectaculaire du NPD en Alberta.

Effectivement, le premier réflexe est de se dire que si des néo-démocrates sont capables de prendre le pouvoir dans une province qui a été pendant 44 ans un château fort conservateur, ma foi, le NPD peut gagner partout ! La victoire de Rachel Notley signifie qu'un nombre incalculable d'électeurs qui avaient voté toute leur vie pour les conservateurs ont tout à coup changé leur fusil d'épaule.

Mais une fois passé le moment d'euphorie, le NPD fédéral se souviendra qu'il n'y a pas si longtemps, plusieurs provinces étaient gouvernées par des néo-démocrates sans que cela influe le moindrement sur le destin du NPD fédéral, alors un tiers-parti sans espoir qui n'aurait jamais rêvé de prendre le pouvoir, même pas de former l'opposition officielle.

En 1975, à titre d'exemple, la Colombie-Britannique, la Saskatchewan et le Manitoba étaient aux mains du NPD et leurs premiers ministres (Dave Barrett, Alan Blakeney, Ed Schreyer) étaient des personnalités dominantes.

En 2000, les néo-démocrates Roy Romanow et Gary Doer régnaient en Saskatchewan et au Manitoba... mais au niveau fédéral, le NPD, éternel perdant, poursuivait son misérable petit bonhomme de chemin. Aujourd'hui, l'Alberta rejoint le Manitoba, néo-démocrate depuis 1999.

Le NPD fédéral a historiquement constitué une entité très différente des NPD provinciaux.

Ces derniers ont toujours eu leur identité propre, et calqué leurs programmes sur les besoins et la sensibilité de leurs électeurs provinciaux. Résultat, les NPD provinciaux, qui étaient, au moins dans l'Ouest, des partis de gouvernement, se sont donné des programmes plus modérés que le NPD fédéral.

La disparité a quelque peu changé depuis l'arrivée à la tête du NPD fédéral de Thomas Mulcair, un ancien libéral qui a pris ses distances avec les syndicats qui contrôlaient naguère le NPD, mais chose certaine, la nouvelle première ministre albertaine a piloté un programme fort modéré, qui n'est pas du tout dans la ligne traditionnelle néo-démocrate.

Elle ne prône pas de révolution fiscale dans une province où l'impôt sur le revenu est actuellement de... 10 % (sans blague) et qui n'a pas de taxe provinciale sur la consommation. Elle ne fera que quelques ajustements, examinera la question des redevances, haussera légèrement les impôts pour les nantis et les entreprises... rien de bien radical !

Contrairement à M. Mulcair, elle ne s'attaquera pas à l'industrie pétrolière qui fait vivre une grande partie de la population albertaine. Le chef fédéral, quant à lui, ne s'était pas fait d'amis en Alberta quand il était allé à Washington faire campagne contre le projet Keystone, et encore moins quand il a déclaré que le Canada souffrait du « Dutch disease », la force de l'industrie pétrolière nuisant à l'industrie manufacturière de l'Ontario... Avec la baisse du prix du pétrole, la donne a complètement changé, mais on ne doit pas s'attendre à ce que le nouveau gouvernement albertain fasse cause commune avec ses homologues fédéraux. Avec une députation de néophytes et une économie provinciale en décroissance, Mme Notley devra marcher sur des oeufs.

Si l'écrasement des conservateurs albertains est une mauvaise nouvelle pour le gouvernement Harper, c'en est aussi une pour les libéraux de Trudeau. À supposer que la victoire de Rachel Notley se répercute en faveur du NPD au niveau fédéral (ce qui toutefois est loin d'être sûr), cela ferait baisser la cote du PLC, qui joue dans le même bassin électoral que le NPD.

Toute hausse du NPD nuit aux libéraux, et inversement. Que cela leur plaise ou non, les deux partis d'opposition sont dans une dynamique de vases communicants... ce qui, au final, pourrait faire le jeu du gouvernement Harper.