Je suis allée au Népal en février. J'aurais des nouvelles plus palpitantes à vous donner si je m'y étais trouvée samedi... mais je n'aurais pas en tête la splendeur des images que j'en ai rapportées, alors que le fabuleux patrimoine culturel du pays était encore intact.

La place royale de Patan, où j'ai passé quelques jours, est... (ou plutôt, hélas, était) la mieux conservée des places royales des trois grandes villes de la vallée de Katmandou (Patan, en banlieue de Katmandou, et Bhaktapur, 16 km à l'est).

Ces places royales, communément appelées Durbar Square, datent pour l'essentiel du XVIIe siècle et regroupent d'extraordinaires ensembles de temples hindouistes et bouddhistes. Elles avaient été restaurées après le tremblement de terre de 1934. Tout sera à refaire.

En découvrant le Durbar Square de Patan, au détour d'une ruelle en terre battue qui menait au «guest house» où nous logions, j'ai eu un choc, une sorte de coup au coeur. Ce n'est pas une figure de style. Il y a des chocs esthétiques qui vous fracassent et dont on se souvient la vie durant. La cathédrale de Chartres, le Parthénon, les temples grecs de Paestum, Angkor au Cambodge... À Patan, je me suis arrêtée net, ébahie et bouleversée, devant cette succession de temples d'une grâce inouïe qui s'offrent tous ensemble à vos yeux. Ni en Inde ni en Chine, je n'avais jamais rien vu de semblable. Comme pour magnifier encore les lieux, ce jour-là, il y avait sur la place un concours de poésie...

Ensuite, on découvrait les étalages anciens des petits marchés, le palais royal et les trésors cachés de ses cours intérieures, et un excellent musée historique aménagé par des mécènes autrichiens.

Je n'ose penser au chaos qui préside aux opérations de secours. Le gouvernement de coalition, fragile aboutissement d'une histoire politique violente et tourmentée, est paralysé par des dissensions internes.

Même en temps normal, le trafic était d'une lenteur infernale et la pollution, endémique dans cette vallée adossée aux plus hautes montagnes du monde, où les systèmes de chauffage archaïques, la poussière des routes, les émissions des autos et des innombrables motos dégagent un brouillard brun et épais qui obstrue l'horizon.

Il y avait constamment des coupures d'électricité et d'eau courante... Un mal pour un bien, car comme je ne pouvais me laver les cheveux au «guest house», j'ai découvert le «beauty salon» typique. Le coiffeur a fait chauffer l'eau dans une petite bouilloire sur un bec de gaz et m'a plongé avec autorité la tête dans un bac, tout en faisant mousser un shampoing qui sortait d'un sachet de plastique, avant de procéder finalement au brushing et à un massage complet des épaules et des bras... pour un gros 5$.

J'ai découvert une coutume spécifique au pays: les deux jumelles d'amis népalais venaient d'avoir six mois, l'âge où l'enfant commence à se nourrir d'aliments solides. L'événement fut célébré dans un hôtel de Katmandou par une grande fête illuminée par la beauté des saris des femmes. Les grands-parents et les arrière-grands-parents trônaient patiemment sur une tribune en s'échangeant la tâche de porter les jumelles survoltées, offertes en quelque sorte à l'admiration de la petite foule de parents et d'amis.

Il s'agissait d'une étape capitale - celle, vraisemblablement, où l'enfant se détache de sa génitrice, celle où l'on a enfin l'assurance que l'enfant sera viable (la mortinatalité, au Népal, est toutefois en voie d'être vaincue). On ne fête pas les anniversaires de naissance. La seule grande célébration familiale qui suivra sera celle qui marquera l'atteinte de la puberté.

Qui aurait cru, en ce soir de réjouissances, que le Népal serait frappé deux mois plus tard par la colère des dieux?