À l'heure où les pharmaciens sont traités de façon inqualifiable par le gouvernement Couillard, un récit est arrivé à point nommé dans ma boîte de courriels.

«Je suis né en mars 1962», écrit P. Juneau. «Durant sa grossesse, ma mère avait entendu parler d'un médicament qui permettait de calmer les nausées. Elle est allée voir le pharmacien de Portneuf, un Monsieur Huot... qui lui a dit qu'il ne faisait pas confiance à ce médicament. Il avait lu dans le Journal of Medicine que des tests de laboratoires effectués aux États-Unis avaient produit des souris avec une patte manquante. Il a donc recommandé à maman les bonnes vieilles Gravol.»

M. Juneau n'a appris qu'à l'âge de 20 ans comment il avait été sauvé du fléau de la thalidomide, mais, hélas, le pharmacien était alors décédé. «J'aurais tant voulu lui exprimer ma gratitude...»

Combien de gens ont-ils été sauvés par des pharmaciens qui ont eu le réflexe de contester l'ordonnance fautive d'un médecin? Probablement plus qu'on ne le croit, car si les médecins ont monopolisé le droit de prescrire, ce sont les pharmaciens qui connaissent le mieux les médicaments, leurs effets secondaires et les contre-indications.

Hélas, l'hégémonie des médecins sur notre système de santé a fait des pharmaciens, au même titre que les infirmières, des travailleurs soumis aux «docteurs», lesquels tiennent tant à leur monopole qu'ils ont longtemps refusé obstinément de déléguer une petite partie de leurs pouvoirs.

Il aura fallu des années avant que les pharmaciens obtiennent le droit de renouveler des ordonnances ou de prescrire des médicaments pour des problèmes mineurs. La résistance des fédérations médicales, conjuguée à la complicité des ministres de la Santé - souvent des médecins - ont fait traîner ce projet de réforme pourtant bien modeste pendant des années.

Finalement, sur fond de mesures d'austérité, le Dr Barrette accepte de transférer ces actes... mais ne les paiera pas tous! Les prolongements ou substitutions d'ordonnance, par exemple, les pharmaciens les effectueront à titre bénévole! Et le gouvernement refuse de payer les montants requis pour la préparation des piluliers à l'intention des gens âgés ou des malades chroniques, tâche normalement dévolue à un technicien qu'il faut bien rémunérer!

Les pharmaciens sont les seuls professionnels de la santé à être traités aussi cavalièrement. Les syndiqués verront leurs salaires gelés, les médecins étaleront leurs faramineuses hausses de rémunération... mais les pharmaciens sont les seuls à se faire dire qu'ils devront travailler plus pour gagner moins!

Pertes totales: 177 millions en honoraires, soit environ 100 000$ par pharmacie.

Le ministre Barrette avait aussi infligé aux pharmaciens oeuvrant en milieu hospitalier des coupes de rémunération si brutales qu'on s'acheminait vers la pénurie. Aux dernières nouvelles, le ministre avait reculé et une entente de principe a été négociée.

Se pourrait-il que cette catégorie de pharmaciens ait été épargnée grâce au fait que les médecins, encore eux, en ont absolument besoin pour préparer les médicaments destinés aux malades hospitalisés? Sans pharmaciens dans les hôpitaux, les médecins ne peuvent plus travailler!

Quant aux autres pharmaciens, ceux qui ont pignon sur rue, ils ne sont redevables qu'à leurs clients, on peut bien leur marcher dessus.

Pourquoi tant de mépris? Est-ce parce que la pratique pharmaceutique a un aspect commercial qui répugne aux purs et durs du secteur public? Est-ce parce que cette profession compte beaucoup de femmes, et aussi beaucoup de professionnels d'origine vietnamienne, qui ne sont pas du genre à descendre dans la rue en battant des casseroles?

À côté des «gros» (Jean Coutu, Pharmaprix, etc.), il y a des centaines de petits pharmaciens-propriétaires qui rendent d'inestimables services de proximité, et qui suppléent bénévolement, par leurs conseils, aux urgences encombrées et aux médecins invisibles.

Mais qui, à Québec, se soucie des patients?