Oui, je suis Charlie, je l'ai assez dit depuis le 7 janvier. Pour la solidarité. Pour la liberté d'expression. Non, je ne serai pas toujours Charlie.

La démonstration a été faite, avec la publication triomphale du dernier numéro de Charlie Hebdo, que l'on ne reculerait pas devant le terrorisme. Bravo! Sera-t-il pour autant nécessaire d'en remettre, à l'avenir?

Ne faudrait-il pas au contraire se garder une petite gêne, devant les conséquences de toutes ces nouvelles provocations?

Cette semaine, émeutes au Niger: quatre morts, incendie des églises et des magasins tenus par des chrétiens. Émeutes à Alger, en Mauritanie, à Karachi (un photographe blessé par balle au poumon), à Téhéran, à Grozny... Des milliers de gens qui brûlent le tricolore, hurlent «mort aux Français» et voient les frères Kouachi comme des martyrs.

Oui, je sais, on peut rejeter tout cela du revers de la main, sous prétexte qu'il s'agit de la réaction de fanatiques illettrés englués dans des croyances médiévales, quand elles ne sont pas directement télécommandées par le pouvoir, comme à Grozny.

On peut se barricader derrière le principe sacré de la laïcité, ce concept abstrait qui tient lieu de religion en France depuis 1905, mais que dément la réalité quotidienne d'un pays qui porte partout les traces du catholicisme.

On peut même, comme nombre d'intellos ne s'en privent pas, ergoter sur la question de savoir si l'islam interdit ou non la représentation du Prophète.

Mais cela dit, que fait-on du sang versé ces derniers jours, comme s'il n'y en avait pas eu assez à Paris?

Si l'on ne se soucie pas de la sensibilité écorchée des 1,7 milliard de musulmans que compte la planète et des quelque quatre millions de musulmans français, on pourrait à tout le moins penser aux chrétiens et aux ressortissants français qui serviront, dans ces capitales enflammées, de boucs émissaires.

N'y a-t-il pas déjà assez de souffrances, de par le monde, qu'il faille les augmenter pour l'amour de quelques caricatures dont la plupart, de toute façon, ne sont pas franchement géniales?

Selon Le Figaro, le nombre de djihadistes français est passé de 555 à 1281 entre le 1er janvier 2014 et le 16 janvier 2015 - une hausse de 130% en un an! Combien y en aura-t-il, après ce 7 janvier fatidique?

Probablement beaucoup plus, car la répression risque d'en créer d'autres avec ce nouveau crime d' «apologie du terrorisme» - une grave entorse à la liberté d'expression, cette liberté que les 12 victimes de l'attentat islamiste à Charlie Hebdo ont pourtant payée de leur sang.

Depuis le 7 janvier, signale Le Monde, plusieurs dizaines de personnes ont été jugées pour ce délit passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende (sept ans de prison et 100 000 euros d'amende pour des propos tenus sur internet).

Les tribunaux ont même condamné, à coup de «procès» expéditifs, des alcooliques et des malades psychiatriques, y compris un illuminé qui se proclamait fils de ben Laden, un déficient mental qui s'était exclamé: «Ils ont tué Charlie, moi j'ai bien rigolé!», et un ivrogne qui avait lancé à des policiers: «Sales Français mangeurs de porc, on va vous tuer!». Une fille de 14 ans qui avait menacé le contrôleur d'un tram de «sortir les kalachnikovs» a été envoyée au tribunal pour enfants.

Cette vague de condamnations - une vague qui inquiète Amnistie internationale - ne fera qu'augmenter le nombre de musulmans déjà trop nombreux parmi la population carcérale et accroître les risques de radicalisations, les prisons étant, on le sait, le plus grand bouillon de culture du terrorisme...