Gros courrier à la suite de ma chronique du 20 décembre où j'approuvais le principe du projet de loi qui forcera les médecins à faire une semaine normale de travail. Des dizaines et des dizaines de lettres d'omnipraticiens outrés, quelques-uns convaincus que les journalistes font partie d'une vaste conspiration pour les dénigrer.

Oublions ce procès d'intention ridicule. Les arguments des lecteurs-médecins étaient dans l'ensemble bien étayés, très clairs, et marqués par une sorte de désespoir manifestement sincère. Ceux-là se considèrent victimes d'une injustice d'autant plus intolérable que le récit détaillé de leur semaine de travail montre qu'ils se tuent à l'ouvrage.

Malheureusement, ces lettres, en ce qui me concerne, rataient leur cible, car ma chronique ne portait que sur ceux qui, parmi les médecins, réduisent volontairement leurs heures de travail pour s'accorder plus de temps libre - un stratagème qui, compte tenu de leur rémunération élevée, leur assure quand même un excellent revenu.

Non seulement je n'ai pas imputé ces pratiques à l'ensemble des médecins, mais je sais par expérience que nombre d'entre eux (dont la mienne) travaillent très fort et se dévouent sans relâche. Les plaidoyers éloquents que j'ai reçus provenaient précisément de cette majorité de médecins qui ne devraient normalement pas être touchés par la future loi.

Mais de toute évidence, il y a en jeu une masse de malentendus, qu'il n'appartient pas aux journalistes d'éclaircir. Les médecins qui m'ont écrit sont unanimes à contester les chiffres sur lesquels se base le ministre Barrette. Ils contestent les données de la RAMQ. Ils contestent les données du ministère, en particulier celles que le ministre Barrette a diffusées sur toutes les tribunes.

C'est une situation tout à fait inédite, car il est très rare, dans les conflits de travail, que toutes les données, en bloc, soient réfutées par l'une des parties. Donc, ou bien le ministère triture les chiffres, volontairement ou non, ou bien les médecins ne tiennent pas compte des nuances et des exceptions qu'apporterait la règlementation qui suivra la loi. D'où l'impérieuse nécessité, pour le ministre Barrette et la Fédération des médecins, de s'entendre sur le portrait réel de la pratique actuelle en médecine familiale.

On ne peut nier, pour autant, qu'il y ait un manque de productivité. Dans l'abondant courrier qui a suivi ma chronique, se trouvaient bien des lettres d'usagers qui se plaignaient de médecins qui travaillent trois jours par semaine et de cliniques aux horaires de fonctionnaires.

Ces problèmes sont-ils aussi considérables que l'affirme le ministre? Les nouvelles obligations imposées par le projet de loi 20 ne seront-elles pas contre-productives? Est-il sain d'encadrer les consultations médicales de manière aussi mathématique? N'y aurait-il pas des façons plus souples et mieux ciblées d'inciter les médecins «délinquants» à rendre à la société qui a financé leurs études à grands frais les services auxquels elle a droit?

Un aspect du projet me semble particulièrement abusif. Les médecins seront tenus responsables du comportement de leurs patients. Exemple: si vous voyez votre médecin de famille deux fois dans l'année, mais que vous allez une fois à l'urgence (disons un samedi soir) et que, pour obtenir une ordonnance ou une seconde opinion, vous allez deux fois dans une clinique sans rendez-vous, cela veut dire que le «taux d'assiduité» de votre médecin sera de 40% (moins que les 80% minimaux) et qu'il sera pénalisé en voyant sa rémunération baisser de 30%.

C'est une disposition à revoir. Autant il est louable d'inciter les médecins à réserver quelques heures par semaine à ceux de leurs patients qui tomberaient malades entre leurs rendez-vous annuels, autant il serait inacceptable de les pénaliser pour des comportements sur lesquels ils n'ont aucun contrôle.