Maintenant que l'Assemblée nationale a fait ce qu'elle aurait dû faire il y a longtemps en votant à l'unanimité une motion pour conserver le nom du pont Champlain, on va pouvoir passer à autre chose.

Le ministre québécois des Transports, Robert Poëti, devra se ranger au lieu de répéter, comme il le fait depuis quelques jours, que la décision appartient au fédéral et que tout ce qui compte, c'est la question du péage. Espérons que les ministres Poëti et Lebel - les Dupont et Dupond du pont, comme le dit drôlement Jean-François Lisée - remiseront leurs gros sabots et cesseront de donner le spectacle de leur inculture.

Les Québécois ont parlé assez fort : le pont portera le nom de Champlain ou, si l'on tient à rebaptiser cette nouvelle structure, le nom complet de l'explorateur, Samuel de Champlain.

Cela dit, les élus du Québec doivent maintenant mettre fin à leur entêtement concernant la question du péage. Depuis tout le temps qu'on en parle, maires et députés ne font qu'enfouir la tête dans le sable en s'obstinant à réclamer un pont gratuit. Cette obstination est irrationnelle : de nos jours, la plupart des nouvelles infrastructures pratiquent le principe de l'utilisateur-payeur, la principale exception étant les États-Unis, où le culte de l'automobile a quadrillé le territoire d'autoroutes gratuites.

Pour emprunter en voiture le fameux viaduc de Millau, en France, il faut débourser 7,30 euros (10,36 $) et 9,10 euros (12,89 $) durant l'été (le triple pour les poids lourds), à défaut de quoi l'on doit emprunter les anciennes routes, qui mettent une bonne heure à traverser la ville nichée au creux de la vallée.

En principe - je dis bien en principe -, il n'y aurait aucune objection d'ordre moral à ce que le nouveau pont Champlain soit payant, avec des tarifs modulés selon les jours et les heures, puisqu'il existe plusieurs autres voies d'accès à l'île de Montréal. Cela serait « inégalitaire » ? Pas du tout, puisque ses usagers paieraient pour le privilège (c'en est un) de voyager seul dans leur voiture et d'arriver plus vite à destination.

En pratique toutefois, l'importance du pont Champlain pour la région, de même que pour les échanges avec les États-Unis, est telle que l'imposition d'un péage risquerait de nuire au commerce, de congestionner les autres ponts et de déstabiliser le flux du trafic dans les rues adjacentes.

L'alternative - soit l'imposition d'un péage sur tous les ponts - aurait d'autres effets pervers. Encercler la métropole d'une barrière tarifaire nuirait au développement de Montréal, tout en encourageant l'étalement résidentiel et commercial vers la banlieue. Ce serait encore pire que le péage sur un seul pont.

Reste une solution moderne et pratique, soit l'instauration de péages électroniques, modulés selon la distance parcourue, sur toutes les grandes autoroutes du Québec, comme cela se fait au Portugal.

Il n'y a pas de raison de limiter la mesure à la région montréalaise. La justice voudrait que les autoroutes menant à Québec, de même que l'autoroute du parc des Laurentides, soient assujetties aux mêmes conditions.

Une partie des recettes pourrait servir au financement du nouveau pont Champlain, et l'autre partie, à réduire la dette du Québec. Le gouvernement Couillard cherche désespérément de l'argent neuf : il serait moins nocif d'aller le chercher chez les usagers des autoroutes que dans les écoles et les hôpitaux !

Nos élus, Denis Coderre au premier chef, feraient preuve de sens des responsabilités s'ils mettaient l'électoralisme et la démagogie de côté pour élaborer un plan de rechange dont le Québec pourrait discuter avec Ottawa. Ce serait plus intelligent que de se buter dans une position de refus stérile.