Dans le tourbillon médiatique déclenché par les attentats de Saint-Jean-sur-Richelieu et Ottawa, un événement est passé quasiment inaperçu. Un événement d'une importance capitale, car il annonce la glissade du Canada vers une justice à l'américaine, copiée sur la mentalité qui prévaut encore dans les États qui ont conservé la peine de mort.

Justin Bourque est un jeune homme de 24 ans. Il est l'auteur de la fusillade de Moncton qui, en juin dernier, a fait trois morts et deux blessés graves chez des policiers de la GRC. Un jeune homme sans histoire, jusqu'à il y a environ un an et demi, alors que, d'après le témoignage de son père, son comportement change brusquement et qu'il devient paranoïaque et hanté par la haine de l'autorité. Une évaluation psychiatrique sérieuse et poussée aurait peut-être conclu, qui sait, à un épisode psychotique, ou, à tout le moins, à de profondes perturbations qui auraient pu le rendre inapte à subir un procès.

On sait depuis longtemps - en particulier depuis le verdict de non-responsabilité criminelle dont le Dr Turcotte a bénéficié après avoir poignardé ses enfants, que les expertises psychiatriques peuvent fluctuer en fonction de la partie qui les rémunère.

Justin Bourque a été condamné la semaine dernière à 75 ans de détention sans possibilité de libération conditionnelle. Quand il sera libéré, s'il ne meurt pas avant, il aura 99 ans. Bref, on l'enferme pour la vie en jetant la clé du cachot à la mer, comme au Moyen Âge.

Selon un sondage de l'Acadie Nouvelle, 68% des gens se félicitent de ce verdict... et 11% trouvent qu'il n'est pas assez sévère!

Il s'agit de la sentence la plus sévère prononcée au Canada depuis la dernière pendaison, il y a 62 ans. Le juge David Smith s'est prévalu d'une loi promulguée en 2011 qui permet aux tribunaux d'imposer des peines cumulatives de 25 ans fermes pour chaque meurtre au premier degré. Auparavant, la sentence maximale sans possibilité de libération conditionnelle était de 25 ans. Notons-le, on dit bien «possibilité», car les grands criminels (Olsen, Bernardo, Pickton, etc) ne sont jamais admissibles à la libération conditionnelle, qui est loin d'être accordée automatiquement.

Sous le gouvernement Harper, le Canada est en train de rompre avec une tradition judiciaire fondée sur le principe civilisé de la réhabilitation plutôt que sur la loi du talion («oeil pour oeil, dent pour dent»...).

Des sentences abusives privent le détenu de tout espoir, tout en sapant à la base ses chances de réhabilitation - sans compter que dans le cas de Bourque, qui a manifestement besoin de soins psychiatriques, il sera laissé à lui-même et à ses démons intérieurs durant tout le reste de sa vie.

Or, le plus scandaleux, c'est que son avocat, Me David Lutz, qui avait lui-même demandé une peine exorbitante (50 ans!), refuse d'en appeler sous le prétexte fallacieux qu'avec la nouvelle loi, le juge n'avait pas de marge de manoeuvre. Pire, cet avocat prétend qu'il n'y a pas matière à un recours à la Cour suprême, même si nombre de juristes considèrent que cette sentence va à l'encontre de la Charte des droits parce qu'elle constitue des «traitements ou peines cruels et inusités».

Justin Bourque vient d'une famille unie, mais pauvre, dont les huit membres s'entassent dans une minuscule maison mobile. Quel aurait été son sort s'il avait été défendu par un bon avocat résolu à lui obtenir une sentence humainement acceptable? Quel aurait été son sort s'il avait été riche et instruit? Ya-t-il au pays un avocat qui se chargera de conduire cette cause jusqu'à la Cour suprême pour faire triompher la justice élémentaire?