En se disant en possession d'une vidéo qui prouve que Zehaf-Bibeau avait une motivation d'ordre idéologique pour partir à l'assaut du parlement - autrement dit, il s'agissait non pas du geste désespéré d'un esprit dérangé, mais d'un acte terroriste - , la GRC vient d'apporter de l'eau au moulin de ceux qui veulent renforcer les mesures de sécurité nationale.

Parmi les mesures envisagées, il y en a une qui est particulièrement troublante. Dans l'entourage du premier ministre, on songerait à criminaliser les commentaires favorables au terrorisme diffusés sur internet.

Outre les casse-tête logistiques - combien d'enquêteurs faudrait-il embaucher pour dépister les auteurs anonymes qui envoient leurs messages dans des cafés internet ? - , cette mesure risque de mettre en péril une liberté fondamentale, celle précisément qui fait la fierté du Canada : la liberté d'expression.

Entendons-nous. Il y a une différence entre un message qui dit, par exemple, « tuez tous les chrétiens (ou tous les militaires, ou tous les Juifs) que vous croiserez aujourd'hui », et un message qui véhicule une opinion controversée, voire ignoble.

L'appel direct au meurtre est de toute façon déjà sanctionné par le Code criminel, mais on a encore le droit d'écrire, par exemple, que « le terrorisme est une réaction légitime, compte tenu des crimes de l'Occident, etc., etc. ». Ce n'est pas mon opinion ni la vôtre, ami lecteur. Mais si nous voulons conserver le droit d'exprimer nos propres opinions, il faut tolérer l'expression d'opinions contraires à nos valeurs. C'est ce qui s'appelle la liberté de parole.

Hélas, la tentation de l'intolérance est toujours présente, même dans nos démocraties.

La France a multiplié les interdictions à la liberté d'expression, qu'il s'agisse de la négation du « génocide » arménien ou des spectacles antisémites de Dieudonné, et cela n'a pas empêché le Front national de faire des pas de géant, au point où les sondages indiquent que Marine Le Pen pourrait arriver en tête au premier tour des élections présidentielles.

Il ne s'est pas écoulé une semaine, depuis les attentats de Saint-Jean-sur-Richelieu et du parlement, que nos zélotes de l'intolérance montaient déjà au créneau. Voici donc André Drouin, le héros de la saga de Hérouxville, qui remonte à la surface en proposant rien de moins que de... fermer les mosquées !

L'intolérance se manifeste partout, y compris au sein de nos institutions les plus prestigieuses, qui sont devenues d'une frilosité sans nom.

Le Collège Brébeuf a fait tout un bazar parce qu'une de ses enseignantes a déjà tourné nue dans quelques films coquins il y a... un demi-siècle. L'auguste CBC vient de congédier son animateur-vedette, Jian Ghomeshi, parce que ses habitudes sexuelles hors-norme faisaient l'objet de toutes sortes de rumeurs.

Suprême humiliation, Ghomeshi a été obligé de dévoiler sa vie sexuelle - il s'adonne à des pratiques sadomasochistes, toujours avec des partenaires adultes et consentantes, précise-t-il - , histoire de donner sa version des choses, avant que les pires allégations se déversent sur ces canaux nauséabonds que sont si souvent les réseaux sociaux.

On devine que la CBC a pensé aux récents scandales qui ont secoué la BBC, qui a été accusée d'avoir protégé deux de ses animateurs-vedettes, qui auraient violé impunément des centaines d'enfants pendant des années. Mais quel rapport avec ce qui se passe dans la chambre à coucher de Jian Ghomeshi ? Aucun.

Hélas, par suite, apparemment, d'une vengeance d'une de ses ex-amies, la carrière fulgurante d'un artiste de talent est irrémédiablement gâchée, et la CBC vient de perdre son animateur-vedette, l'un des rares qui pouvait lui apporter cette clientèle des jeunes qu'elle recherche avec tant de frénésie. Où l'on voit que l'intolérance et le puritanisme font bon ménage...