Ça n'arrive qu'aux autres... Ou, plus exactement, ça n'arrivait qu'aux autres. Jusqu'à cette semaine.

Nous étions un peu engourdis, confortés par un excès de confiance, rassurés par l'idée que les corps policiers sauraient nous prémunir contre le genre d'attentat qui s'est si souvent produit ailleurs. Car c'est vrai, les complots terroristes d'inspiration islamiste qui ont été échafaudés au Canada, ces dernières années, ont tous été éventés grâce aux systèmes d'information de la police et de la sécurité nationale.

Cette fois, ça y est. Il faudra apprendre à vivre avec la menace, tant il est vrai qu'à moins d'opter pour la dictature, aucun État ne peut déployer un système de défense à toute épreuve contre le terrorisme.

Prenez le cas de «Ahmad» Couture-Rouleau. Il était fiché et suivi, on lui avait enlevé son passeport, ce qui était justifié par son intention affichée d'aller combattre en Syrie. Michael Zehaf Bibeau, lui aussi, s'était vu retirer son passeport pour la même raison. Mais à moins, justement, de vivre dans une dictature, on ne pouvait empêcher ces jeunes gens de faire circuler des opinions démentes et de nourrir des pensées haineuses. On ne pouvait pas les empêcher de conduire leur auto. On ne pouvait pas non plus envoyer un détective à leurs trousses jour et nuit.

Même un bracelet électronique enregistrant leurs allées et venues ne les aurait pas empêchés de s'attaquer aux militaires. Ces bracelets sont des mesures de prévention qui ne sont efficaces que pour ceux qui tiennent à leur libération conditionnelle, voire à leur propre vie, ce qui n'est pas le cas des djihadistes, qui rêvent du martyre et sont prêts à jouer le tout pour le tout.

Loups solitaires ou complot en bande organisée? Pour paraphraser Richard Martineau, combien de loups solitaires faut-il pour former une meute?

D'ailleurs, la notion même de complot doit être révisée à l'ère des réseaux sociaux. On n'en est plus à une bande d'illuminés se réunissant clandestinement dans des sous-sols, comme à l'époque des Brigades rouges ou du FLQ. La communication est désormais instantanée et dématérialisée.

Al-Qaïda, depuis le 11-Septembre, n'était déjà plus une organisation à direction centralisée et s'était métamorphosée en une nébuleuse de groupes relativement indépendants les uns des autres. Les individus radicalisés d'aujourd'hui appartiennent à des réseaux, mais ce sont des réseaux virtuels et internationaux.

Le Québec a eu sa large part de tueries. De Denis Lortie à l'Assembée nationale à Kimveer Gill à Dawson, en passant par Marc Lépine à Polytechnique... Mais dans ces cas, c'était l'oeuvre d'un tueur fou qui agissait seul, sans l'appui d'un mouvement idéologique armé.

Ce à quoi l'on fait face aujourd'hui est un phénomène autrement plus dangereux: l'hydre du terrorisme. L'hydre, rappelons-le, est cette créature de la mythologie grecque à multiples têtes... dont chacune, sitôt tranchée, se régénérait en se dédoublant.

Ce qu'il y a de plus tragique, dans ces événements, c'est ce que cela risque de nous faire, à nous. À nous, c'est-à-dire à notre société.

Il est normal d'avoir peur, face à ces attaques. La peur est bonne conseillère quand elle mène à une prudence raisonnée, mais elle peut aussi mener aux pires excès: la panique, le profilage ethnoreligieux, la haine, l'abus des mesures de répression policières, le dérèglement du principe de précaution...

On a vu, dans le domaine du transport aérien, à quels excès ridicules ont mené les réactions aux attentats qui se sont produits dans les airs depuis le 11-Septembre. D'abord les ciseaux à manucure, ensuite les liquides, ensuite les chaussures, enfin le laser... S'il fallait que la menace terroriste réussisse à éroder les valeurs de notre vieille démocratie, cela serait le triomphe ultime des fous d'Allah.