J'ai aimé tous les films de Dolan (je n'ai raté que son deuxième, Les amours imaginaires). Succédant à l'exubérant festival baroque de Laurence Anyways,Tom à la ferme était de facture plus sobre, mais son contenu, encore plus troublant et explosif. Et puis voici Mommy, un film poignant et fulgurant qui vous prend l'âme et le coeur en étau.

Après ce préambule, les lecteurs qui connaissent mon attachement à la langue française classique s'attendent probablement à un gros mais. Hé bien non, il n'y a pas de bémol. Loin de m'irriter, le joual excessif des deux personnages centraux me paraît au contraire faire partie intégrante de l'histoire.

Cette langue brute et violente traduit les sentiments excessifs qui tantôt jettent la mère et le fils l'un contre l'autre, et tantôt les rapprochent dans un amour fusionnel et désespéré.

Beaucoup l'ont remarqué, et Dolan le dit lui-même : personne, au Québec, ne parle comme cela. D'ailleurs, même les Montréalais de naissance ont intérêt à voir Mommy en version sous-titrée, sous peine de perdre une partie des dialogues.

Le joual de Michel Tremblay était une simple transcription du langage de l'ancien Plateau, où évoluaient ses personnages. La langue de Mommy est une langue partiellement inventée, une recréation qui illustre l'incapacité, pour deux êtres psychologiquement abîmés et socialement déclassés, d'exprimer en langage rationnel des émotions bouillonnantes et irrépressibles - un magma qui appelle une langue sommaire et dure, presque animale.

Le français normal coule de source, cette langue-là jaillit comme d'un volcan, ajoutant à l'intensité du film.

De fait, ce n'est que dans les rapports oedipiens entre la mère et le fils que se manifeste le joual excessif. Autrement, il y a plusieurs niveaux de langue dans Mommy. Kyla, quand elle surmonte son bégaiement, parle un français correct. Le voisin avocat parle un français joualisant mais courant. La directrice du centre parle « à la française », ce qui, dans le contexte, accentue sa position de supériorité.

Quand elle parle avec d'autres que son fils, Diane peut s'exprimer dans une langue assez châtiée (comme lorsqu'elle tente d'obtenir un petit contrat de traduction), mais elle revient au joual - un joual agressif dont elle se sert comme d'une arme - pour exprimer sa colère envers la directrice du centre qui met son fils à la porte. Le fils, quand il est séparé de sa mère, peut lui aussi parler un français correct, comme dans la scène où on le contraint à s'excuser au téléphone auprès de sa mère.

Dolan, autrement dit, utilise la langue, dans ses multiples variantes, comme un élément intrinsèquement lié au scénario et à la psychologie des personnages.

Malheureusement, ce n'est pas le cas de tous les cinéastes québécois, qui usent et abusent du joual même quand cela n'a aucun rapport avec le contenu.

Dans Incendies, de Villeneuve, les conversations entre le frère et la soeur se déroulent dans un joual émaillé de sacres, ce qui est parfaitement incongru chez des jeunes de classe moyenne élevés par une mère libanaise qui parle parfaitement français.

Dans Café de Flore, de Vallée, les personnages québécois, tous des urbains éduqués, sacrent, s'envoient « chier », et avalent leurs mots comme personne ne le ferait dans leur milieu réel.

Sébastien Pilote est l'un des rares à échapper à cette mode tarée qui fait parler les personnages beaucoup plus mal qu'ils parleraient dans la vie réelle. Ses personnages du Vendeur parlent la langue simple et correcte des commerçants, ceux du Démantèlement, la langue des paysans du Lac-Saint-Jean...