L es premières images de la crise d'Ebola étaient d'une tristesse insoutenable. Des gens cordés le long d'un mur, qui recevaient les écuelles de nourriture que leur tendaient, par-dessus deux rangées de cordons sanitaires, des soignants gantés jusqu'aux coudes, vêtus comme des cosmonautes, les yeux cachés par des lunettes de scaphandre.

Les malades avaient cet air accablé, mais résigné de ceux qui voient venir la mort tout en sachant qu'ils ne pourront trouver de réconfort dans les baisers et les caresses de leurs proches. Isolés, condamnés, exclus prématurément du monde des vivants. On atteignait en quelque sorte l'extrême pointe du malheur humain.

Depuis, la tragédie n'a fait que s'amplifier, jusqu'à plonger des pays comme le Liberia et la Sierra Leone dans un cauchemar sans nom. Plus de 6500 malades ont été recensés en Afrique de l'Ouest, mais on sait que le nombre réel des victimes est bien plus élevé, car les familles cachent leurs malades - à supposer qu'ils soient conscients de leur état - pour éviter qu'ils leur soient enlevés et envoyés dans ces antichambres de la mort que sont devenues les cliniques d'urgence où peu de gens sont sauvés.

L'Organisation mondiale de la santé prévoit l'apparition de 20 000 cas dès novembre à défaut de «changements draconiens»... lesquels sont fort peu probables, compte tenu de la situation sur le terrain. Les agences américaines, elles, prévoient que 1,4 million de personnes pourraient être affectées d'ici le mois de janvier. Selon l'UNICEF, pas moins de 3700 enfants rendus orphelins par le virus ont besoin d'une aide immédiate.

Le virus se propage vite, car il peut être transmis non seulement par contact avec des liquides organiques (sperme, sang, excréments), mais aussi par la sueur (un phénomène très courant dans les pays chauds: serrer la main d'une personne infectée qui transpire vous met déjà à risque), de même que par le contact avec des surfaces contaminées (draps, vêtements, etc.). Cela a provoqué un mouvement de panique chez le personnel des lignes aériennes, un mouvement qui a mené au quasi-enfermement des pays les plus touchés, désormais à peu près privés de contact avec le reste du monde.

Même ces saints des temps modernes que sont les soignants engagés dans des associations humanitaires hésitent à servir là où l'on aurait tant besoin d'eux, et qui peut les blâmer? Des dizaines de professionnels de la santé et de missionnaires ont été contaminés, et la plupart des rescapés sont ceux qui ont pu bénéficier des traitements agressifs déployés dans les pays développés.

Le Dr Marc Forget, un Québécois habitué aux missions difficiles (en dehors des crises, il pratique dans le Grand Nord) est l'un de ces héros. Il était en Guinée quand l'épidémie a débuté cet été, il retourne cette semaine en Sierra Leone avec Médecins sans frontières, et il trouve le moyen d'être serein et de sous-estimer l'ampleur de son dévouement: «Si on est bien informé et qu'on suit les procédures, le risque est limité», disait-il à notre collègue Laura-Julie Perreault.

Il constate les effroyables dommages collatéraux de l'épidémie: la révolte des populations locales, l'incompréhension populaire, les tensions dues au bouclage des zones les plus touchées, l'effondrement du commerce et de l'économie déjà fragile... à quoi l'on pourrait ajouter ces autres plaies sociales qui se manifesteront pour peu que l'épidémie atteigne un certain niveau en Occident, dont le profilage racial des voyageurs venant des régions affectées, l'isolement des zones les plus misérables de l'Afrique subsaharienne.

Mais il y a une leçon à tirer de cette immonde tragédie, et c'est l'impérieuse nécessité de former davantage de professionnels de la santé en Afrique même, chez eux. Nous y reviendrons ces prochains jours.