Où en sera-t-on dans dix ans ? Vaste question, mais c'est celle que se pose La Presse aujourd'hui...

J'ai beau la scruter, ma boule de cristal est opaque. Je n'y vois que des images fugaces qui flottent et s'évanouissent.

J'aperçois un vide, un trou béant, quelque chose qui disparaît et dont l'absence m'emplit déjà d'une indicible nostalgie : le journal papier.

Je vois du rouge, la couleur du sang qui continuera de couler, hélas, dans plusieurs régions de la planète.

Je vois du bleu, un bout de ce drapeau fleurdelisé qui continuera de flotter tranquillement sur un territoire qui restera, comme le reste du Canada, un îlot de paix et de prospérité dans un monde tourmenté.

Je vois danser des pépites d'or, promesses de bonheur. Je vois des fumerolles noires, comme autant de mauvais augures.

Je vois des amas de chiffres et de lettres incompréhensibles, d'indéchiffrables hiéroglyphes qui ne correspondent à aucune langue vivante. Ce sont les dizaines de mots de passe à vingt signes qu'il faudra mémoriser chaque semaine pour les changer aussitôt, histoire de se prémunir contre les virus, les espions, les pirates, les voleurs d'identité et autres calamités.

Que nous réserve 2024 ? Chose certaine, cette époque sera, encore davantage qu'aujourd'hui, dominée par des technologies de plus en plus pointues, lesquelles laisseront sur le carreau de nouvelles classes d'illettrés incapables de suivre l'évolution de l'informatique et de la robotique.

Mais encore ? Les enfants naîtront-ils avec des doigts en forme de stylets pour mieux taper sur leurs téléphones de plus en plus intelligents ? Naîtront-ils avec des queues de sirène à la place des jambes, ces membres n'étant d'aucune utilité quand on passe la moitié de sa vie assis devant des écrans ? Perdront-ils l'usage de la parole, un art que la culture des textos rend obsolète ? Écrira-t-on par onomatopées ? Combien de gens liront encore des livres ?

Mais je sors de ces cauchemars en pensant qu'il fut une époque où je voyais comme la pire des malédictions l'apparition des ordinateurs et des machines à traitement de texte. À cette époque, je me serais enchaînée à ma vieille Underwood comme les écolos s'enchaînent à des arbres, pour protester contre ce que j'imaginais comme la destruction de l'écriture. Finalement, le jour vint où je ne pouvais plus m'esquiver : ma bien-aimée machine mécanique allait être remplacée par un ordinateur, et c'était ça ou la porte. J'allai, résignée, suivre le cours d'initiation que le journal avait organisé. Ma conversion s'est faite en moins d'une demi-heure.

En sortant de là, j'étais transportée. Comment avais-je pu si longtemps taper mes papiers sur des claviers bruyants, changer les feuillets, effacer les erreurs au liquide correcteur, repasser dessus en faisant des trous dans le papier... ? Cette nouvelle technologie était un miracle : on se corrigeait en un clin d'oeil, on déplaçait les paragraphes en deux clics, et surtout, l'on avait devant les yeux l'entièreté du texte ! La souris et le curseur étaient devenus mes meilleurs amis.

Et je ne savais pas encore les bienfaits qu'internet nous réservait... Comment faisait-on quand on ne pouvait communiquer à distance instantanément, où que l'on soit au monde ? Quand la moindre cueillette d'information était une tâche longue et fastidieuse ? Quand il fallait jeter une lettre à la poste, attendre des jours pour un accusé de réception ? Quand Skype n'existait pas et que les appels internationaux coûtaient une fortune ? Quand, avant les distributeurs de billets, il fallait voyager avec des chèques d'American Express ?

Tout cela pour dire qu'il est bien inutile de se faire du mauvais sang en pensant à ce que la technologie nous réserve. Le pire n'est pas toujours certain !