En 1981, quand la France, sous la présidence de François Mitterrand, a imposé le prix unique du livre, qui aurait imaginé qu'un jour viendrait où l'on lirait sur des tablettes électroniques des livres qu'on aurait commandés par internet en quelques minutes?

Et voilà que le ministre Maka Kotto arrive, 30 plus tard, avec la même idée... Mais il faut croire qu'il n'est jamais trop tard pour copier ce qui s'est fait ailleurs il y a trois décennies!

Au départ, le raisonnement était bancal, pour ne pas dire simpliste: le livre, disait-on (et répète-t-on ici aujourd'hui) n'est pas «un produit comme un autre»...

Mais pourquoi la sacralisation du livre à l'exclusion de tout le reste? Faut-il en déduire que la peinture, la sculpture ou la musique, qui sont pourtant des objets culturels au même titre que le livre, sont, eux, assimilables à une boîte de petits pois? Que les éditeurs et les distributeurs sont de purs esprits qu'aucun souci commercial n'anime? Et que tous les livres, incluant les bouquins de recettes de cuisine et de croissance personnelle qui assurent l'essentiel des ventes, relèvent de la création littéraire?

Mais là n'est pas l'important. Ce qui s'est passé, c'est que malheureusement, l'initiative de l'ancien ministre Jack Lang n'a pas empêché les malheurs de s'abattre sur le marché culturel français.

Virgin, la grande enseigne qui dominait les Champs-Élysées, a fait faillite l'an dernier. La célèbre Fnac est menacée du même sort. Sa direction réussira peut-être à éviter le naufrage grâce à des réaménagements brutaux: suppression de postes, ouverture le dimanche (un quasi sacrilège en France), vente de jouets, de jeux et de petits électroménagers (comme chez Renaud-Bray), efforts désespérés, mais tardifs pour faire face à la concurrence meurtrière d'Amazon... La Fnac est à vendre, mais personne ne veut l'acheter.

Plus triste encore, à Paris, la ville qui a inspiré tant d'écrivains, les petites librairies ferment les unes après les autres... preuve, s'il en fallait une, que ce ne sont pas les grandes chaînes qui les tuent, mais la marche inexorable de la modernité, de même que le fait que la lecture est partout en perte de vitesse sauf chez une minorité d'irréductibles.

Le Québec, avec une population six fois plus petite que la France, peut se compter chanceux d'avoir une grande chaîne de librairies (Renaud-Bray, avec ses 30 succursales) qui semble bien fonctionner, en partie grâce à son jeune patron, le fils du fondateur, qui a su prendre à temps le virage numérique.

Quant à savoir qui profitera de la future politique gouvernementale, laquelle vise ultimement, par l'interdiction temporaire des rabais, à sortir les géants comme Wal-Mart et Costco du marché du livre, bien malin qui pourrait le prédire...

Bien évidemment, ce ne seront pas les consommateurs qui en profiteront puisqu'on les privera de la possibilité d'acheter des best-sellers à meilleur compte... toute une incongruité, dans ce Québec qui compte moins de lecteurs que partout ailleurs au Canada!

Les gens qui auraient impulsivement acheté un best-seller en vente chez Costco et qui auraient peut-être ainsi pris goût à la lecture, se rabattront-ils sur une petite librairie de quartier? Douteux. Iront-ils chez Renaud-Bray, ou dans l'une des 15 succursales d'Archambault? Même pas sûr... Mais bon, on verra. On ne peut que souhaiter que le pari réussisse.

Chose certaine, tout comme les épiceries fines qui se sont taillé une place à côté des supermarchés, le salut des librairies indépendantes passe par des «niches»: un service personnalisé, un libraire particulièrement compétent, un choix judicieux de livres, un espace convivial avec wi-fi, machine à café, journaux et viennoiseries... Toutes choses que le gros commerce ne peut offrir.