Le 50e anniversaire de l'assassinat de John F. Kennedy a suscité une immense vague internationale de réminiscences dont le volume est inversement proportionnel aux réalisations d'un président trop vite disparu.

En comparaison, le legs de son successeur Lyndon B. Johnson est plus important et, pour ce qui est de la politique intérieure, beaucoup plus fructueux. Mais 2013 aura passé sans que le monde songe à célébrer le 

40e anniversaire de la mort de Lyndon B. Johnson... ce qui démontre à merveille le pouvoir de l'image.

Précédant de peu la puissante génération des baby-boomers, porté par une aura de jeunesse et de brillance et sa capacité d'exploiter les ressources du nouveau média qu'était alors la télévision, JFK était déjà très populaire de son vivant (sa cote dans les sondages dépassait toujours les 50%). Sa mort tragique lui a donné la dimension d'un mythe.

S'il avait vécu, JFK aurait-il été un grand président? Peut-être pas. Son bref passage au pouvoir n'a pas été à la hauteur du mythe.

Ses rapports avec Cuba furent catastrophiques. Il engagea son pays dans le marécage vietnamien. Il se fit rouler dans la farine par Nikita Khrouchtchev. Bien que sa phrase la plus célèbre soit associée au mur de Berlin (Ich bin ein Berliner!), il était resté passif et muet devant la construction de cette barrière meurtrière qui représentait un accroc massif aux accords de Yalta.

Sur le plan intérieur, il ne put répondre activement au grand défi que l'époque lui présentait - la reconnaissance des droits civils des Noirs. Non pas qu'il eut été insensible à cette cause, mais son appui fut surtout rhétorique et symbolique, comme son soutien affiché pour Martin Luther King.

Le passage du temps aurait érodé l'image du beau président vigoureux, heureux mari d'une femme amoureuse. En réalité, ce mariage n'avait de féérique que l'apparence. JFK était un grand malade, perclus de souffrances intolérables que seuls pouvaient soulager de puissants médicaments (incluant des stéroïdes) et une frénésie sexuelle compulsive.

Johnson, maintenant. C'est lui qui promulgua la loi octroyant aux Noirs leurs droits civiques. Exception faite de la guerre du Vietnam, héritée de JFK, son règne fut marqué par des initiatives extraordinairement progressistes: légalisation de l'immigration non-européenne, adoption des programmes Medicare et Medicaid (programmes d'assurance-maladie pour les gens âgés et les démunis), loi d'accès à l'information, missions Apollo...

Politicien habile et retors, il savait faire passer ses projets, bien mieux que les distingués patriciens de la famille Kennedy, bien mieux aussi que Barack Obama, qui est en train de rater la mise en oeuvre de son unique projet-phare (l'«obamacare») et qui vient, à son tour, de se faire rouler dans la farine par un dictateur russe (à propos de la Syrie).

Homme complexe, LBJ était aussi vulgaire et sans scrupules qu'il pouvait être généreux et sensible à l'injustice.

En 1938, tout jeune membre du congrès, il s'activa à livrer de faux visas à des juifs de Varsovie, et fit entrer clandestinement au Texas des centaines de juifs autrement promis à la mort. Déjà, en 1934, alors que tant de leaders politiques occidentaux fermaient les yeux, il était conscient des dangers que représentait le nazisme.

Tout au long de sa présidence, il fut un indéfectible ami d'Israël. Si JFK avait autorisé l'envoi d'armes défensives à l'État hébreu, LBJ autorisa l'envoi d'armes offensives au petit État assiégé durant la guerre de 1967.

À l'époque, je m'en souviens, mes amis et moi détestions Johnson. Nous étions si jeunes et si enflammés par l'horreur de la guerre du Vietnam, que nous étions aveugles à l'autre côté de la médaille...