Tous les politiciens, même les plus intelligents, commettent des gaffes à l'occasion. C'est dans la nature humaine: on s'oublie, la langue vous fourche, la petite phrase malheureuse fuse comme un pétard. Au mieux, le public, qui a la mémoire courte, oubliera l'incident. Au pire, il passera l'éponge après que vous vous soyez excusé.

Dire que Trudeau Le Jeune, Justin de son prénom, est un gaffeur impénitent serait inexact. Ce dont il souffre est d'un autre ordre.

L'écouter parler, c'est s'aventurer dans le dédale d'un esprit confus et désorganisé où, pour paraphraser Boileau, rien n'est énoncé clairement parce que rien n'est bien conçu.

Prenons sa dernière sortie sur la Chine. M. Trudeau était le héros d'une soirée destinée à ces dames - Ladies' Night, annonçait le programme - qui avaient payé 250$ le billet afin de voir en chair et en os «Justin. Unplugged.». Unplugged, comme on le dit des rockers qui jamment sans amplification électrique. Trudeau au naturel, quoi.

La soirée donnait déjà un aperçu du respect qu'éprouve la branche torontoise du PLC envers l'intellect des femmes. L'affiche du spectacle spécifiait qu'elles auraient enfin la chance de poser les questions qui les taraudent. Exemples: Quelle est votre vertu favorite? Qui sont vos héros?

En montant sur scène, tel un gogo-boy livré à l'adoration de bonnes femmes en chaleur, le chef libéral a enlevé sa veste, relâché sa cravate et déboutonné le haut de sa chemise. (Il a quand même arrêté là.)

Quel est le gouvernement que vous admirez le plus?, lui demande-t-on.

Réponse: «Vous savez, il y a un niveau d'admiration que j'ai, en fait, pour la Chine parce que leur dictature de base leur permet de tourner, en fait, leur économie sur un dix cents et de dire "il faut devenir vert au plus vite, il faut investir dans le solaire."»

Il y a mille et une choses que Trudeau Le Jeune pourrait admirer en Chine. Mais la dictature? Il a essayé de se rattraper par une pirouette anti-Harper, mais c'était trop tard.

Garanti, vous retrouverez cette vidéo dans les pubs négatives que diffuseront les conservateurs dans la prochaine campagne électorale!

Certains ont cru voir, dans cet éloge tordu de la dictature chinoise, l'influence de Trudeau Le Vieux, qui a toujours affiché un faible pour les dictateurs. Un temps compagnon de route du régime maoïste et des communistes soviétiques, il s'accrocha ensuite aux basques de Fidel Castro.

Mais ce serait chercher midi à quatorze heures que de voir un lien génétique entre une politique inspirée par l'anti-américanisme et le désir de provoquer, et les naïves élucubrations de Trudeau Le Jeune. Ce dernier a peut-être lui aussi voulu provoquer, mais il n'est pas intellectuellement outillé pour ce genre de bravade.

Durant la campagne au leadership, Trudeau Le Jeune était encadré par une équipe aguerrie. Il doit aujourd'hui voler de ses propres ailes, débranché de son «brain trust» - unplugged, c'est le cas de le dire.

Par un réflexe de prudence salutaire, il s'abstient généralement d'intervenir en Chambre, où, malgré qu'il soit quadragénaire, il a l'air d'un petit garçon dans la cour des grands. Il laisse le job de démolition à Thomas Mulcair, misant plutôt sur des activités promotionnelles axées sur sa personne et non sur ses idées.

Pour l'instant, le PLC mène dans les sondages pancanadiens. La classe moyenne aime ce que Trudeau lui promet - un mélange de progressisme social et de conservatisme économique, de même qu'une image de renouveau. On verra ce qu'il restera de cette avance quand se rapprochera la campagne électorale et qu'on passera aux choses sérieuses.