Nous allons nous livrer à un petit exercice bien simple, qui consiste à se mettre à la place de l'autre. Vous êtes une femme médecin musulmane, peut-être diplômée de l'Université de Montréal, et vous portez le foulard. Vous entendez à la radio une personnalité respectée dire qu'elle aurait peur, oui, peur d'aller vous consulter, car dans votre religion, on accorde moins d'importance à la vie des femmes qu'à celle des hommes.

Qui plus est, cette dame, qui vient de vous infliger la pire des insultes qu'on puisse adresser à un professionnel de la santé, est l'idole des Québécois.

Dites-moi, comment vous sentez-vous? Avez-vous envie de vous intégrer à la société québécoise? Ou peut-être, votre diplôme en poche, déménagerez-vous à Toronto, ou dans l'un des innombrables pays prêts à accueillir à bras ouverts les médecins compétents - avec ou sans foulard, avec ou sans kippa.

Vous êtes une éducatrice de garderie qui porte le foulard. Vous vous dites que tant qu'à y être, il se trouvera quelqu'un, dans cet étrange pays d'accueil, pour vous soupçonner de vous occuper moins bien des petites filles que des petits garçons...

En même temps, une autre vedette adulée des Québécois vous aura traitée de «folle», de marionnette manipulée, et vous aura même ridiculisée pour avoir voulu rester coquette au-dessous du foulard: un maquillage de «clown» ! Comment vous sentez-vous?

Quand des femmes de pouvoir s'arrogent le droit de mépriser d'autres femmes, minoritaires de surcroît, pour leurs convictions religieuses, et cela, au nom de l'égalité des sexes, on est loin du féminisme. Ou alors il s'agit d'un féminisme dévoyé, dont les protagonistes utilisent l'autre, l'étrangère, comme bouc émissaire de leurs propres frustrations.

Je reçois constamment des courriels de «Janettes» ordinaires, des femmes souvent âgées, agitées à la fois par le rejet de l'immigrant et un ressentiment forcené envers l'Église catholique, le second sentiment servant en quelque sorte de justification au premier.

Je suis chaque fois médusée devant ce déferlement de haine envers une Église qui n'a pas eu que des torts, devant ce besoin malsain de noircir le passé au-delà de la vérité historique, devant ce qui m'apparaît comme une effroyable injustice doublée d'ingratitude.

Oui, d'accord, il y a eu cette tare indélébile que fut l'interdiction de la contraception. Mais ces Janettes ne doivent-elles pas en partie leur réussite à des soeurs enseignantes? Si le Québec parle encore français, à qui le devons-nous? Les Jésuites et les autres congrégations masculines, des hommes de foi, mais aussi de savoir, étaient-ils si méprisables? Dans quel autre pays le symbole le plus sacré d'une religion (en l'occurrence le crucifix pour les chrétiens) serait-il ravalé au rang d'«objet patrimonial», comme la berceuse à pépère ou la baratte à beurre?

Ce débat sur la charte a pris l'allure d'une séance de psychothérapie collective qui rappelle les excès débiles et l'hystérie anti-homme des années 70, Lise Payette battant la mesure, et chacune se joignant au choeur des pleureuses pour ressasser les blessures subies il y a un demi-siècle aux mains des hommes de l'Église et des hommes tout court, comme si elles revenaient de Dachau.

«De quoi avons-nous peur?», s'interrogeait samedi dernier, dans La Presse, Marie Bernard-Meunier, ancienne ambassadrice du Canada en Allemagne. «Nos acquis sont-ils à ce point fragiles que la seule évocation d'une appartenance religieuse est ressentie comme une menace existentielle? D'où vient cette insécurité face à la différence? Aurions-nous évacué la religion au point d'être devenues incapables de même appréhender le sentiment religieux? Pourtant, ce sentiment existe, et pas seulement chez les femmes voilées. C'est peut-être nous, au fond, qui nous voilons la face.»

Bien dit.