Faudrait-il, comme le souhaite la CAQ, interdire le port de signes religieux chez les enseignants?

Sur cette question, mon premier réflexe (il y a neuf ans, quand la France a banni ces signes chez les enseignants et les élèves des écoles publiques) a été de me dire que si cette exigence était inacceptable pour les élèves, les enseignants, en tant que figures d'autorité, devraient être soumis à l'obligation de neutralité religieuse. J'ai, depuis, changé d'idée. Voici pourquoi.

Les enseignants n'appartiennent pas aux rarissimes catégories professionnelles desquelles il serait juste d'exiger un devoir de réserve absolu, comme le suggérait opportunément le rapport Bouchard-Taylor.

Les juges, les policiers, les procureurs de la Couronne et les gardiens de prison occupent des fonctions régaliennes, en ce sens qu'ils représentent un pouvoir coercitif et punitif contre lequel un individu a très peu de recours.

On peut aller en appel contre la décision d'un juge, mais cela prendra des années (et de l'argent), pour un résultat aléatoire. On peut amener un policier devant une commission, mais le mal aura été fait. Quant au prisonnier, il est sans défense devant un gardien abusif.

Le pouvoir d'un enseignant sur l'élève n'est aucunement comparable. D'abord, dans une société démocratique, l'enseignant ne représente pas l'État. En second lieu, s'il incarne une certaine forme d'autorité, c'est une autorité toute relative et fort fragile, à plus forte raison dans un système aussi laxiste que le nôtre.

Il y a plusieurs recours contre l'arbitraire d'un enseignant: la direction de l'école, la commission scolaire, le comité de parents, sans compter la Commission des droits et les médias.

On pourrait même dire sans blaguer que de nos jours, l'enseignant qui donnerait trop de mauvaises notes se fera taper sur les doigts par la direction, traiter de tortionnaire par des parents surprotecteurs, et harceler par les petits malins qui le piégeront dans des situations embarrassantes avec leur téléphone portable.

Autre question: les élèves risqueraient-ils d'être influencés indûment par l'enseignant qui porterait une kippa ou un foulard? C'est un faux problème. Les élèves sont soumis à de multiples influences, dont la plus déterminante est celle de leurs pairs - leurs compagnons de classe et leur groupe d'amis; ensuite viennent les réseaux sociaux, la télé, la famille, le voisinage... Dans ce foisonnement d'influences diverses, que pèse la présence d'un enseignant dévot, sur la dizaine d'enseignants auxquels un élève aura affaire chaque année?

Quant aux tout petits, voulez-vous bien me dire en quoi un enfant serait traumatisé par une Fatima en foulard?

Mais au fait, pourquoi présumer que ces présences minoritaires auraient une influence négative? Pourquoi ne pas plutôt croire que la rencontre de gens de croyances différentes est en soi une expérience positive, susceptible d'élargir les horizons de l'élève, de l'amener à découvrir et apprécier la diversité du monde?

C'est d'ailleurs sur cette approche qu'est basé le cours d'éthique et de culture religieuse qui a remplacé le cours de morale. Si l'initiation à la diversité est encouragée sur le plan de l'éthique, pourquoi devrait-elle être découragée quand il s'agit de contacts avec des personnes en chair et en os?

Autre aspect particulièrement inquiétant, l'interdit gouvernemental s'étend jusqu'aux profs des cégeps et des universités, que le gouvernement englobe ainsi dans la catégorie des représentants de l'État. C'est encore plus aberrant. Ici encore, le gouvernement Marois va plus loin que la France, qui a épargné (jusqu'ici) le postsecondaire.

Que fait-on de la liberté académique? Les professeurs et les chercheurs doivent-ils être la courroie de transmission de la pensée gouvernementale?

Et que dire des artistes et des artisans de Télé-Québec ou d'autres sociétés d'État à mandat culturel? Sont-ils eux aussi considérés comme des «représentants de l'État» ?