Nul besoin d'être devin pour prévoir ce qui se passera à Montréal si cette charte de tous les dangers devient loi.

Tous les hôpitaux anglophones se prévaudront du droit de retrait, tandis que dans les hôpitaux francophones, ce sera la pagaille, les administrateurs étant divisés et soumis à de multiples pressions, syndicales ou autres.

Où iront les médecins juifs ou musulmans les plus renommés? Dans les hôpitaux anglophones, évidemment. Pas nécessairement parce qu'ils sont eux-mêmes croyants, mais parce qu'ils préféreront travailler dans un climat de liberté et d'ouverture.

Ce sera d'ailleurs le cas de tous les soignants d'origine immigrante, qu'ils soient Chinois ou Libanais. Ce genre de loi n'attire pas les gens de qualité, elle les repousse. Les hôpitaux francophones seront privés des immigrants les plus compétents, ceux qui, ayant le choix, choisiront des établissements imprégnés d'une mentalité internationale, où le talent n'est pas évalué en fonction du couvre-chef.

Idem pour les universités. McGill, plus que jamais, attirera les meilleurs cerveaux venus d'ailleurs (ceux sans l'apport desquels toute institution de recherche est vouée au déclin), pendant qu'à l'UQAM et peut-être même à l'Université de Montréal, on perdra son temps à se quereller autour de la charte.

La biochimiste voilée trouvera facilement un emploi, pendant que l'humble éducatrice de garderie semblablement voilée sera renvoyée au chômage... et ce, dans un contexte où l'on manque d'éducatrices qualifiées!

Au fait, peut-on m'expliquer pourquoi le diagramme infantile qui couvre actuellement le Québec de ridicule présente des dessins de niqab (qui masque tout sauf les yeux), de hijab (qui enserre le visage et les épaules), alors que la majorité des musulmanes voilées portent un simple foulard qui ne cache que les cheveux?

La Ville de Montréal de même que toutes les municipalités de l'île se retireront de la loi commune. Ce seront des espaces de liberté et de tolérance, mais en même temps, cette disparité flagrante entre la métropole et le reste de la province accentuera les divisions. Bonjour le Québec fractionné, déchiré entre sa presqu'île cosmopolite et sa province catho-laïque.

Ou une loi est nécessaire ou elle ne l'est pas. Si elle l'est, ne doit-elle pas s'appliquer à tous? Mais on a compris, bien sûr, que si cette charte est aussi trouée qu'un gruyère, c'est parce que le gouvernement, dans un sursaut de réalisme, a eu peur.

Peur de se retrouver avec une métropole en révolte, peur de voir les médecins en kippa de l'Hôpital juif qui ont soigné les Jacques Parizeau et Normand Lester de ce monde s'en aller à Toronto, peur de voir un immense exode de compétences qui saignerait les universités et le domaine de la santé et déclencherait l'éberluement à travers le monde.

Pour l'instant, on n'a droit qu'à ce que les thuriféraires de la charte appellent le «Quebec bashing», qui n'est autre que la réaction indignée du reste du Canada devant ce qui est une incongruité inquiétante dans un continent modelé par la tradition démocratique libérale.

Dans sa grande entreprise de rééducation morale, le gouvernement Marois va donc nous donner du temps (à coups de périodes de cinq ans renouvelables) pour «cheminer» vers la lumière. J'entends cela, cette fausse sollicitude, ce ton suave, paternaliste et maternant, et j'entends les sermonades onctueuses des anciens clercs qui n'absolvaient les égarés que pour mieux les ramener dans le droit chemin.

Au fait, est-ce aux gouvernements à définir l'échelle de valeurs d'une société? À promulguer d'autorité la hiérarchisation des droits en décrétant la priorité de l'égalité sexuelle sur la liberté religieuse? À déclarer que le multiculturalisme (un mot-valise) va contre «les valeurs québécoises» ? C'est le retour de l'Église, qui elle aussi nous disait quoi penser...