Aller au Cambodge, c'est passer de la splendeur à l'horreur. De la splendeur d'Angkor à l'horreur des Khmers rouges.

Les premiers jours, vous êtes dans l'émerveillement. Et une fois engagé, à Phnom Penh, sur les traces lugubres qu'ont laissées les Khmers rouges dans ce pays tragique, vous aurez sombré dans la désespérance.

Les images radieuses de l'ancien royaume d'Angkor auront fait place à des cauchemars bien contemporains qui hanteront vos nuits. On sort de ce périple éprouvé, à la fois exalté devant le génie humain et accablé devant la folie humaine.

Mais commençons par la splendeur. Peu de monuments en dégagent autant que les temples d'Angkor, mystérieux vestiges d'une civilisation disparue qui trouve ses racines dans l'hindouisme.

Quoi d'autre peut inspirer une telle émotion esthétique? On pense au Parthénon, aux fabuleux vestiges des Pharaons, aux cathédrales médiévales...

Au départ, je ne connaissais d'Angkor que les sordides anecdotes concernant André Malraux, l'écrivain voyou qui avait pillé le temple de Banteay Srey pour revendre à profit ses plus gracieuses sculptures. Le choc de la découverte n'en fut que plus fulgurant.

Même les hordes de touristes débarqués des autocars (lesquels heureusement se concentrent tous sur les temples les plus connus, dont l'auguste Angkor Vat, vous laissant déguster en paix la beauté plus discrète des temples situés à l'écart des circuits), même la horde, dis-je, ne réussit pas à vous gâcher le plaisir inouï de pénétrer dans ces forêts magiques de pierres et de latérite arrachées à la jungle.

Un (très) modeste avant-goût d'Angkor se trouve au musée de Danang, au Vietnam, où l'on peut voir des vestiges de l'ancien royaume du Champa, eux aussi modelés sur le bouddhisme brahmanique, admirable produit des féconds échanges commerciaux entre l'Inde et le sud de la péninsule indochinoise. (Les plus belles pièces de l'art cham se trouvent au musée Guimet de Paris, l'ancien colonisateur s'étant servi en premier).

La présence indienne au Cambodge a laissé plus de traces qu'au Vietnam: non seulement sur l'extraordinaire site archéologique d'Angkor, mais aussi dans la langue khmère, qui contient de nombreux mots en sanskrit, la langue sacrée hindoue. Contraste frappant avec les délicats Vietnamiens au teint clair, nombre de Cambodgiens ont la peau foncée et la physionomie des habitants du sud de l'Inde.

Il faut plusieurs jours pour visiter la quarantaine de temples angkoriens, tous construits entre le 9e et le 13e siècles, mais il faut voir au moins Angkor Vat, ses perspectives majestueuses et ses admirables bas-reliefs illustrant des sagas guerrières et les danses des apsaras; le Bayon et ses hallucinants visages taillés dans des tours de pierre; le délicat temple de Banteay Srey, ciselé comme un bijou dans la pierre, ses gracieuses danseuses et ses animaux mythiques; l'exotique temple de Ta Prohm, dont les ruines sont envahies par les gigantesques racines d'un arbre tropical appelé fromager (on a délibérément cessé la restauration, pour montrer l'état où se trouvaient les temples au moment où des archéologues français les ont redécouverts au 19e siècle.)

On ignore le mode de vie des populations (certainement asservies) d'Angkor. On en connaît toutefois les réalisations les plus spectaculaires, comme les immenses réservoirs d'eau et les astucieux systèmes d'irrigation destinés à intensifier la culture du riz.

À lire et à apporter sur les sites: Angkor, cité khmère de Claude Jacques et Michael Freeman, pour ses descriptions détaillées et les photos qui serviront aussi de souvenirs.

Dans leur délire idéologique, les Khmers rouges qui ont pris le pouvoir en 1975 rêvaient de recréer l'empire angkorien en déportant la population des villes vers les campagnes pour pratiquer la culture intensive des rizières. C'est d'eux que nous parlerons mardi.