Il y avait bien longtemps que je n'avais vu un horloger en chair et en os. J'en étais arrivée à la conviction que l'horlogerie était l'un de ces beaux métiers voués à l'extinction dans une ère où l'on jette plutôt que de réparer.

Surprise, j'en ai trouvé un... et appris en même temps que Trois-Rivières a la chance de posséder la seule école d'horlogerie au Canada, et que si sa survie a été menacée l'an dernier, elle va retrouver son erre d'aller grâce à une hausse des inscriptions.

J'ai un petit réveil de voyage que je croyais fini parce qu'un commis m'avait dit que la pile était encore bonne. Donc c'était le mécanisme... Achetez-en donc un autre, au prix que ça coûte, me dit-il. Mais je m'entête car je sais que je n'en trouverai pas un pareil. Je vais au comptoir de réparation de La Baie; là, on ne prend pas les horloges, mais on me suggère d'aller à la Swiss, entre Birks et McDonald.

Et que vois-je, au fond de ce magasin qui vend des montres de prix? Un grand cubicule de verre qui abrite un horloger certifié à qui l'on peut parler! Loin d'être un vieux monsieur sorti du siècle dernier, Gabriel Rondeau-Bouvrette est un tout jeune homme, fier diplômé de l'école de Trois-Rivières, le genre fils de bonne famille qui parle un français impeccable et scrute à la loupe des mécanismes compliqués en les manipulant avec des doigts d'artiste.

Comme ses instruments sont plus développés que ceux des simples vendeurs de piles, il identifie vite le problème - la pile marche, mais elle est trop faible. La prochaine fois, il va voir ce qu'il peut faire avec deux jolies montres anciennes qui ne marchent plus, mais que je ne me suis jamais résolue à jeter.

Quand les montres au quartz sont arrivées sur le marché, dit-il, on a annoncé la fin de l'horlogerie, elles ne coûtaient pas cher, on les jetait au premier pépin. Mais les choses ont changé. Il y a de plus en plus de montres de prix sur le marché, et puis aussi des montres anciennes qu'on veut conserver...

En l'écoutant parler, je pensais à tous ces jeunes qui aboutissent par hasard à l'université sans savoir ce qu'ils y cherchent, et qui traînent leurs espadrilles d'un département à l'autre, éternels étudiants sans avenir qui vivotent avec de petits boulots à temps partiel et qui abandonneront les études sans diplôme et sans formation.

C'est l'un des grands drames de nos sociétés contemporaines que d'avoir propagé la mentalité absurde qui veut que le travail à composantes manuelles soit inférieur au travail de col blanc, et qu'il est plus intéressant de noircir du papier dans un bureau que d'être boucher, inhalothérapeute, ébéniste ou technicien en électronique. D'où ces cohortes qui vont par pur réflexe s'engouffrer dans la filière générale du cégep avant d'aller perdre leur temps à l'université...

Il existe des métiers ingrats et peu gratifiants dont héritent les travailleurs sans spécialité aucune, mais ceux qui requièrent un apprentissage, de l'habileté, de l'attention soutenue et de la créativité tiennent de l'artisanat, voire de l'art. Allez au Musée des meilleurs ouvriers de France, vous en sortirez ébloui. Quant à moi, c'est toujours avec fierté que je dis que je pratique le «métier» (pas la profession) de journaliste...

Heureusement, l'engouement ambiant pour la bouffe et la restauration a revalorisé les métiers de cuisinier et de boulanger, mais le Québec a du chemin à faire avant d'égaler l'Allemagne, dont le succès économique tient en partie au fait que le pays a intelligemment misé sur la formation professionnelle.