Certes, la France n'avait pas le choix: il fallait empêcher les djihadistes de prendre Bamako, la capitale malienne où vivent 10 000 de ses ressortissants.

Il fallait aussi - mais cela sera beaucoup plus ardu - prévenir le scénario catastrophe: la transformation du nord du Mali, un territoire deux fois plus grand que la France, en une vaste base terroriste menaçant tout le sud de l'Europe...

Ce scénario a de fortes ressemblances avec le cas afghan. Un État failli (a failed state) parasité par de redoutables fanatiques et preneurs d'otage dont le but est de faire régner la terreur dans l'ensemble du monde non islamiste.

D'où les craintes répandues que la France ne s'enlise pour longtemps, comme l'OTAN en Afghanistan, dans un inextricable bourbier. On voit mal en effet comment la France pourrait d'ici peu laisser pareille mission aux mains d'armées africaines mal équipées et indisciplinées.

Ainsi donc, celui qu'on appelait «flanc mou» il y a encore deux semaines s'est mué en «chef de guerre». Cet habit va bien aux chefs d'État... au moins au début, avant que les cercueils de soldats morts au combat ne commencent à se multiplier dans la Cour des Invalides - car, dans ce cas, contrairement à l'offensive de l'ancien président Sarkozy en Libye qui se faisait essentiellement du haut des airs, la France a «des bottes sur le terrain: boots on the ground

Ce n'est pas faire preuve de cynisme, toutefois, que de noter qu'en intervenant au Mali, la France est en train de ramasser les pots qu'elle a elle-même cassés en Libye.

Les socialistes français avaient approuvé aveuglément l'offensive irréfléchie de l'ancien président Sarkozy contre le régime Kadhafi. Ils en sont donc eux aussi responsables.

En renversant un régime qui, aussi antipathique fût-il, ne menaçait personne en dehors de ses frontières depuis une bonne dizaine d'années, et en prenant impulsivement le parti des putschistes de l'est du pays qui, loin d'être de doux agneaux promis à l'abattoir, avaient engagé une guerre civile armée contre Kadhafi, la France prenait le risque de déstabiliser toute la région du Sahel.

C'est exactement ce qui est arrivé. Les terroristes qui la menacent actuellement à partir de leur bastion malien sont pour beaucoup d'anciens mercenaires de Kadhafi qui ont fui la Libye dévastée en emportant les stocks d'armes pillés dans ses arsenaux.

Dans Le Monde du 18 janvier, le politologue Gilles Kepel, membre du haut conseil de l'Institut du monde arabe, porte un jugement très dur sur l'équipée conjointe de la France et de l'OTAN (dont le Canada) en Libye, une intervention qui, «faute de mobiliser les connaissances de fond disponibles sur les sociétés arabo-islamiques, s'est traduite par l'implosion de ce pays en une myriade de factions appuyées sur des phalanges surarmées.»

«Toute la région, du Moyen-Orient au Sahel, poursuit Kepel, est noyée sous un afflux d'armements provenant du pillage des énormes arsenaux libyens - une aubaine pour les groupes salafistes radicaux...».

Ces groupes gangrènent maintenant toute la région, de la Tunisie où ils terrorisent les femmes et les enseignants, à Benghazi où le consulat américain a été pris d'assaut et l'ambassadeur assassiné, et jusqu'à la Syrie où les troupes rebelles sont fortement infiltrées par les zélotes de la charia.

Et c'est de Libye qu'est venu le commando qui a percé les barrages de sécurité des installations gazières de Tigantourine, dans l'est de l'Algérie. Quel contrôle a le nouveau gouvernement libyen sur ses frontières et son territoire? La Libye est-elle une zone de non-droit? On ne sait plus ce qui s'y passe, la presse étrangère l'ayant complètement désertée.