Faut-il condamner le projet de loi C-377 qui obligerait les syndicats à dévoiler leurs états financiers au public?

Les syndicats bénéficiant de nombreux privilèges fiscaux, il n'est pas anormal qu'ils soient assujettis à l'obligation d'une certaine transparence. C'est d'ailleurs le cas dans des pays comme la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou l'Australie.

Mais le diable est dans les détails. S'il est normal que les salaires des hauts dirigeants syndicaux, de même que les sommes destinées à promouvoir des causes politiques extérieures au marché du travail, fassent l'objet d'une divulgation, le projet de loi couvre beaucoup trop de postes budgétaires, à tel point que cela ressemble à du harcèlement.

On prévoit que pour analyser cette gigantesque masse d'information, l'Agence canadienne du revenu devra embaucher 22 agents de plus! C'est insensé.

La loi ne devrait concerner que les éléments qui sont vraiment d'intérêt public, et surtout, protéger la confidentialité des dépenses reliées aux stratégies de négociation des conventions collectives, afin de ne pas donner injustement des armes au patronat.

Autre sujet d'inquiétude, ce projet de loi survient au moment où la formule Rand, oxygène du mouvement syndical, est remise en question. L'État du Michigan vient de l'abolir, et certains conservateurs ontariens rêvent de faire de même, au nom du principe fumeux du «droit au travail» - autrement dit, le droit d'un salarié d'obtenir un emploi dans une boîte syndiquée tout en refusant d'adhérer au syndicat qui représente son unité de travail... et cela, tout en bénéficiant du salaire et des avantages sociaux obtenus grâce aux luttes de ses camarades syndiqués! Appelons plutôt cela le droit au parasitisme!

Mais ne versons pas dans la paranoïa. Aucun gouvernement canadien, même le plus antisyndical, n'osera toucher à la formule Rand. Toute tentative en ce sens provoquerait un séisme et serait politiquement suicidaire.

Cela dit, des syndicats qui jouissent du monopole de la représentation syndicale - un privilège qui n'existe pas en Europe - devraient se garder une petite gêne quand ils s'engagent dans des activités politiques qui n'ont rien à voir avec leur rôle essentiel.

Sur ce plan, les abus sont nombreux, d'autant plus qu'ils se produisent souvent à l'insu des cotisants.

Où va la part de leurs cotisations qui ne sert pas à la négociation des conventions collectives et à l'aide financière aux syndiqués en grève ou en lock-out?

Pourquoi les membres de la base - ceux qui financent l'organisation - ne sont-ils jamais consultés quand il s'agit de prendre des positions politiques?

Il faut savoir que les centrales fonctionnent comme une pyramide. De délégation en délégation, la participation aux instances vouées à l'activisme politique échoit à ceux qui poursuivent une mission idéologique, car ce sont les seuls qui veulent consacrer tous leurs loisirs au militantisme politico-syndical.

Résultat: à l'époque où leurs membres votaient en masse pour les libéraux ou les conservateurs, les syndicats canadiens finançaient à tour de bras le NPD.

La CSQ, le syndicat des Postes et celui de la fonction publique ontarienne, entre autres, ont participé à la campagne de boycottage contre «l'apartheid» israélien sans aucun mandat de leur base.

Et que dire des centrales québécoises, qui ont versé des dizaines de milliers de dollars à la croisade des «carrés rouges», mouvement désapprouvé par les deux tiers des Québécois et donc, vraisemblablement, par une majorité de travailleurs syndiqués?

Ce détournement de fonds serait resté secret, n'eût été la curiosité de quelques reporters.

Dommage qu'on en soit rendu au point où la transparence doit être imposée par le gouvernement...