J'ai toujours préféré la réhabilitation à la répression, et le pardon à la vengeance. J'éprouve même un certain sentiment de compassion envers Guy Turcotte.

Derrière les murs de Pinel, il était jusqu'ici à l'abri de la colère populaire, et si, comme il le dit, il a pu «prendre des bains de foule» sans se faire harceler, c'est probablement parce que les passants ne l'ont pas reconnu.

Avec la médiatisation entourant sa libération conditionnelle, il sera un homme pourchassé, une proie vulnérable pour les réseaux sociaux, les photographes et les justiciers autoproclamés de tout acabit.

Cela dit, il reste intolérable qu'on puisse tuer deux enfants, et que l'on s'en sorte sans être puni. La réhabilitation, certes... mais de grâce, qu'elle se fasse au terme d'une punition!

Le système n'avait pas le choix. Il n'y avait pas de raison de ne pas libérer M. Turcotte. La société n'avait rien à gagner à ce qu'il traîne encore longtemps dans le confort aseptisé de l'Institut Pinel. Là n'est pas le problème.

Le coeur du problème, c'est le procès, et l'infamant verdict qui l'a déclaré non criminellement responsable de la mort de ses enfants.

Or, ce procès a été marqué par un déséquilibre flagrant: d'un côté, un médecin, cardiologue de surcroît, défendu par deux étoiles du Barreau. De l'autre, deux procureures de la Couronne qui n'étaient pas de taille à affronter l'armada des frères Poupart.

Me Claudia Carbonneau, la procureure principale, devait d'ailleurs être arrêtée, quelques mois après le procès, pour violence conjugale, voies de faits armés et conduite dangereuse, ce qui laisse croire qu'il s'agissait d'une personnalité fragile dont la vie privée était problématique.

Au centre, le juge Marc David et un jury composé de gens ordinaires - coiffeuse, machiniste, agent de sécurité, infirmière... - dont on peut croire qu'il était naturellement porté à respecter les médecins.

Mais à quoi donc servent les juges, si ce n'est pour rétablir la balance entre deux parties inégales?

Pourquoi le juge n'a-t-il pas suppléé aux insuffisances de la Couronne? Pourquoi n'a-t-il pas spécifié, dans ses directives aux jurés, que l'ingurgitation volontaire de méthanol était un facteur aggravant la culpabilité? Pourquoi a-t-il inclus, parmi les quatre options qu'il proposait au jury, celle de la non-responsabilité?

Le nouveau juge de la Cour suprême, Richard Wagner, vient de déclarer que pour éviter l' «incompréhension de la population», à la suite de verdicts comme celui-là, il faut «bien expliquer le système de justice aux citoyens».

Expliquez-le tant que vous le voudrez, votre Honneur, cela ne masquera jamais le fait que ce que l'on a vu à l'oeuvre, dans le procès Turcotte, c'est une justice de classe.

Une justice où un notable part avec une forte longueur d'avance parce qu'il peut se payer les meilleurs avocats et les meilleurs témoins-experts (or, on connait la complaisance des psychiatres habituellement retenus par la défense).

Les bons avocats ont bien des tours dans leur sac. Ceux de l'ex-juge Jacques Delisle, condamné pour le meurtre de sa femme (sa cause, comme celle de Turcotte, est en appel), ne l'ont pas fait témoigner parce qu'il dégageait un caractère autoritaire et hautain susceptible d'aliéner les jurés (en plus, il avait une maîtresse!), tandis que le bon petit docteur de Saint-Jérôme, lâché par sa femme, avait l'allure qu'il fallait: effondré, la voix à peine audible, l'air d'un mort en sursis... de quoi inspirer la pitié.

Que se serait-il passé si l'assassin de ces deux enfants avait été un pauvre bougre, manoeuvre ou chômeur, défendu par un avocat débordé de l'aide juridique? Il serait en prison, et pour longtemps.

On attend maintenant l'appel, pour que justice se fasse.