J'étais à New York le soir où Sandy a frappé, mais je n'ai rien vu, rien entendu. À peine un souffle de vent dans la 63e rue, et une petite pluie froide bien de saison.

Comme disent les agents immobiliers, «Location! Location! Location!». L'important, c'est l'emplacement! L'ouragan avait frappé plus bas, dans Lower Manhattan.

Dois-je l'avouer, j'étais un peu déçue. Je me préparais à vivre une expérience aussi intense que celle de la crise du verglas en 1998, alors que le centre-ville de Montréal offrait le spectacle magique et terrifiant d'un désert urbain figé dans la glace.

Dans l'appartement new-yorkais de l'amie qui nous avait hébergés durant le week-end... et qui nous avait généreusement accueillis de nouveau après que notre vol de retour, dimanche soir, eût été annulé à la dernière minute, nous avions tout ce qu'il fallait pour résister au siège de la nature: bougies, bouteilles d'eau, piles, un frigo plein... Nous nous attendions à passer la nuit rivés aux fenêtres.

Mais aux environs de la 63e rue et de la 1e avenue, il n'y eut pas l'ombre d'un drame.

Lundi soir, la East River, qui coule tout près de là, semblait particulièrement agitée, mais les commerces du quartier fonctionnaient à plein régime; ils allaient simplement fermer plus tôt qu'à l'habitude.

Le mardi matin, une fois passé l'ouragan que nous n'avions pas vu passer, les Libanais du café voisin offraient encore leurs excellents expressos et leurs croissants au beurre. À côté, le dépanneur coréen avait déjà rouvert ses portes. (Que deviendraient nos grandes villes sans ces milliers d'immigrés toujours au boulot qui assurent la vitalité des quartiers?)

Mardi après-midi, la vie avait repris, Upper Manhattan ayant la chance d'avoir échappé aux ruptures de courant. Le métro allait être dévasté pour longtemps à cause des infiltrations d'eau salée, mais les bus et les taxis recommençaient à rouler.

Mercredi, le Metropolitan Museum et Bloomingdale's avaient rouvert leurs portes, avec un personnel réduit. Dans Midtown, à la hauteur de la 42e rue, tout était comme avant: les embouteillages monstres, les piles de sacs-poubelle, l'animation nerveuse et fébrile de la rue.

C'est plus bas, dans Greenwich, Soho, Tribeca, le East Village ou les quartiers de Wall Street et de Battery Park, qu'était la dévastation. C'était une no-go zone bloquée par des barrages policiers, aux prises avec des arbres déracinés, des rues inondées et des pannes d'électricité massives. Des tours d'habitation luxueuses aux anciens logements ouvriers, riches et pauvres étaient dans le même bateau, à cette différence près que les premiers avaient migré à l'hôtel ou chez des amis, et les autres, dans des refuges.

Toutes les zones inondables avaient été évacuées dès le week-end. C'est d'ailleurs pourquoi nous n'avions pu voir notre nièce. Travailleuse sociale à l'emploi d'un nursing home de Long Island, elle n'a pu prendre part aux agapes organisées avec ma belle-famille new-yorkaise parce qu'elle se consacrait nuit et jour à l'évacuation des patients - des vieillards invalides ou alzheimer pour lesquels il fallait trouver d'autres lits... Allyson était l'un des innombrables travailleurs de l'ombre grâce auxquels la tragédie a fait peu de victimes, compte tenu de l'intensité de l'ouragan.

Il reste que Manhattan, aussi résiliente soit-elle, est une île. Jamais cette fragilité n'avait-elle été aussi évidente: les ponts, les viaducs, les tunnels étaient toujours fermés hier, emprisonnant touristes et habitants dans une prison dorée. Les aéroports reprenaient le service dans l'anarchie, et LaGuardia, à la pointe de Long Island, avait été si gravement endommagé qu'on ne voyait pas le jour où il rouvrirait...