En mandatant Jean-François Lisée comme émissaire auprès des anglophones, la première ministre Marois a fait un choix bien étrange... qui fut d'ailleurs reçu par plusieurs comme une véritable provocation. «Est-ce une blague?» de s'exclamer dans la Gazette le columnist Don MacPherson.

Ce n'est pas une question de compétence. Au contraire, l'homme est brillant, il peut être convaincant, et il parle bien l'anglais (et l'écrit en plus).

Le problème, c'est qu'il a lui-même brûlé les ponts qu'on lui demande de reconstruire. Voilà une drôle de colombe, si l'on veut envoyer un message de paix à la minorité anglophone.

M. Lisée aime se vanter du fait qu'à l'époque où il rédigeait les discours du premier ministre Bouchard, il avait écrit celui que ce dernier a prononcé au Centaur en 1996 à l'adresse des anglophones. Mais outre qu'un «speech writer» met sa plume au service de la pensée d'un autre et n'a pas à retirer le crédit d'un discours, bien de l'eau a coulé sous les ponts depuis ce temps.

M. Lisée est en effet l'auteur principal de la politique identitaire qui a fait du PQ un parti plus radical et plus intolérant qu'il ne l'a jamais été dans son histoire.

Il a été l'inspirateur du projet de «citoyenneté québécoise» qui stipule que toute personne s'établissant au Québec, incluant les citoyens canadiens et les immigrants naturalisés, n'aurait pas le droit de se présenter à des postes électifs sans «connaissance appropriée du français». D'abord publié en 2007, ce projet inconstitutionnel à sa face même a été condamné par nombre de juristes et même par l'ancien chef péquiste Bernard Landry, parce qu'il créerait deux classes de citoyens.

Ce genre de mesure est sans équivalent dans les démocraties libérales. La France, par exemple, requiert la connaissance du français avant d'accueillir le conjoint étranger d'un Français, mais - différence capitale - il s'agit ici de candidats à l'immigration.

M. Lisée a également été l'un des champions de la laïcité fermée (plutôt qu'ouverte comme le proposait le rapport Bouchard-Taylor). D'où le projet du PQ d'exclure de l'administration publique les personnes portant un symbole religieux (kippa, pendentif, foulard islamique, etc.). Notons bien qu'il ne s'agit pas ici de niqab, encore moins de burka, et qu'on parle d'employés «ordinaires», non pas des catégories qui devraient être rigoureusement neutres (juges, policiers, gardiens de prison).

Ce projet a scandalisé la presse anglophone et c'est normal, car il rompt avec la tradition d'ouverture qui existe partout en Amérique du Nord.

Il faut lire à ce sujet le texte remarquable de Jean Dorion (Le Devoir du 22 septembre). Dorion, un souverainiste convaincu qui a consacré une grande partie de sa vie à l'intégration des immigrants, y explique à coup d'arguments inattaquables son opposition au projet de charte de la laïcité, qu'il qualifie de «paravent de l'intolérance».

M. Lisée fut aussi, l'hiver dernier, le maître d'oeuvre d'un dossier extraordinairement pernicieux de L'actualité qui a semé l'alarme dans la minorité anglophone. Assorti de titres hostiles et d'un sondage biaisé, ce reportage disait en somme que peu importe leur niveau (élevé) de bilinguisme, les Anglo-Québécois étaient «coupables» de ne pas militer pour la cause du français et de tenir à leur propre culture. La menace n'était plus la langue anglaise, mais les anglophones eux-mêmes, puisque même une bonne connaissance du français ne suffisait plus à en faire des compatriotes fiables.

Jamais L'actualité ne mentionnait que s'il y a déclin du français à Montréal, c'est parce que les francophones de souche l'ont déserté pour la banlieue. On ne mentionnait pas non plus que M. Lisée, tout journaliste qu'il fût, était l'un des principaux stratèges du PQ.