La furie islamique qui se répand comme une vague noire à travers le monde musulman, de la Libye en Indonésie en passant par cette Tunisie si proche de nous (croyait-on), n'est pas près de se résorber.

On sait bien que le prétexte - un film débile concocté par un islamophobe - n'a été que cela: un prétexte. Si ce film n'avait pas existé, ç'aurait été autre chose - une caricature impie, un discours haineux, un spectacle impudique, un exemplaire du Coran brûlé par un hurluberlu, un paragraphe sacrilège dans un roman, etc. (Au fait, la fatwa décrétée en 1989 par l'ayatollah Khomeini contre Salman Rushdie tient toujours: la récompense promise par une fondation religieuse iranienne à qui assassinerait le romancier vient d'être augmentée à 3,3 millions US).

N'importe quoi, en somme, peut mettre le feu aux poudres, simplement parce que les fanatiques de l'islam radical n'attendent qu'une occasion, n'importe laquelle, pour donner libre cours à leur hargne contre l'Occident.

Quand cette vague de colère s'apaisera, une autre lui succédera, et le cycle n'est pas près de finir, car le fossé entre les deux cultures - celle des démocraties libérales et celle des théocraties islamiques - est pour l'instant infranchissable.

Ainsi, dans ces pays où la liberté de parole n'a jamais existé, les protestataires sont convaincus que l'acte isolé d'un individu reflète l'opinion du gouvernement et du peuple américains. Mme Clinton et M. Obama ont eu beau condamner la vidéo qui a déclenché le scandale, on ne les croira pas, tant on est convaincu qu'il s'agit d'une vaste conspiration anti-islamique dirigée par la Maison-Blanche. Il faudrait que le gouvernement envoie illico le cinéaste à la chaise électrique pour laver l'affront, et encore, le doute persisterait.

La situation est devenue dangereuse pour les diplomates occidentaux. On a beau dire que les attaques contre les missions étrangères sont le fait d'une minorité (c'est sûrement vrai), il reste que leurs gouvernements respectifs semblent incapables d'assurer la sécurité des ambassades et des consulats, soit parce qu'ils doivent composer avec leurs minorités salafistes ou intégristes, soit parce que les forces de sécurité des régimes issus du Printemps arabe sont désorganisées.

En Libye notamment, de grandes portions du territoire restent aux mains de milices armées. Qui peut croire que l'invasion du consulat de Benghazi n'a été due qu'au coup de sang impulsif d'une foule en colère? L'attentat a été planifié, les attaquants étaient armés de kalachnikovs et brandissaient le drapeau noir du djihad.

Or, comme le signale John Mundy, ancien ambassadeur à Téhéran, l'ambassade la plus fortifiée sera vulnérable si le pays hôte ne veut pas ou ne peut pas assurer sa protection.

Les États-Unis ont demandé à leurs employés en poste au Caire, à Tripoli et à Khartoum de rester chez eux jusqu'à nouvel ordre, et émis une série de directives visant à limiter les dangers qu'encourent leurs ressortissants.

Le Canada risque de devenir une cible de choix en raison de l'appui inconditionnel du gouvernement Harper à Israël. Ottawa vient de fermer l'ambassade de Téhéran, en raison justement des risques à la sécurité (et peut-être aussi parce que le gouvernement pressent, à tort ou à raison, une attaque imminente d'Israël contre l'Iran).

Si cela continue, le système diplomatique qui a survécu à la guerre froide risque de s'effondrer dans certains pays musulmans. Ce serait, bien sûr, une pure catastrophe.

La donne, hélas, a changé. Les adversaires historiques des démocraties occidentales (l'URSS et la Chine) respectaient les règles diplomatiques établies. Ni les Russes ni les Chinois n'attaquaient les missions étrangères, et si l'envie leur en prenait, leurs gouvernements les arrêtaient d'une main de fer. Ce n'est plus le cas dans une partie du monde.