Les résultats électoraux sont de grands exercices d'humilité pour les journalistes, comme d'ailleurs pour les sondeurs... lesquels, faut-il dire, sont les principaux informateurs des journalistes.

Cette fois encore, tout ce beau monde (et bien sûr je m'inclus là-dedans) a commis deux erreurs majeures. D'abord en sous-évaluant grossièrement les appuis du Parti libéral. Ensuite en propageant l'idée, finalement pas très exacte, que les Québécois aspiraient au changement.

Comme s'ils étaient encore traumatisés de n'avoir pas vu venir assez tôt la «vague orange» qui a emporté le Bloc québécois aux dernières élections fédérales, les médias ont appliqué l'analyse du scrutin fédéral à l'élection provinciale.

La théorie à la mode était donc que les Québécois voulaient se débarrasser des «vieux partis» et rêvaient de renouveau. D'où la surévaluation du phénomène de la CAQ, présentée comme le game changer, le grand facteur de changement qui allait chambarder l'échiquier politique du Québec à l'instar du NPD en 2011.

Or, les résultats de ce dernier scrutin montrent tout autre chose. Si la CAQ s'est fort bien tirée d'affaire, pour un parti naissant sans organisation digne de ce nom, elle n'a pas suscité de vague analogue à la vague orange.

En outre, on ne peut pas vraiment dire que la CAQ, avec un chef sorti du PQ et un fort contingent hérité de l'ADQ, représentait un bien gros changement. Son potentiel de changement n'avait rien de commun avec le NPD, un parti pancanadien et fédéraliste qui, par rapport au Bloc qu'il supplantait, représentait une nouveauté considérable. La CAQ, avec un programme calqué sur les idées reçues et emprunté à la fois au PQ et au PLQ, n'incarnait rien d'audacieux et ne voulait en rien casser la baraque, même pas vraiment brasser la cage.

Finalement, qu'ont fait les Québécois? Ils ont voté, contrairement à l'image véhiculée par les sondages et les médias, de manière assez conventionnelle, les deux tiers se partageant également entre le PQ et le PLQ, le quart allant vers la CAQ et 6% vers Québec solidaire.

Fidèles à leurs vieilles habitudes, les Québécois ont opté pour la prudence et la modération. Un gouvernement péquiste, oui, mais minoritaire, et qui sera flanqué d'une grosse opposition libérale. On a simplement inversé les rôles. La révolution n'est pas pour demain!

La force du PLQ, peu visible et enfouie dans le secret des indécis et des discrets, n'a pas été prévue par les principales firmes de sondage, qui l'ont sous-évaluée de cinq points (CROP) et de quatre points (Léger). J'exclus les prédictions de Forum Research parce que les variations extrêmes entre ses sondages de la campagne rendaient cette firme non crédible.

Seule la sociologue Claire Durand avait offert un autre son de cloche, et pressenti, en analysant les intentions de vote à partir de ce qu'on connaissait de la clientèle libérale traditionnelle, que le PLQ était plus fort qu'on ne le croyait.

On avait oublié la vieille sagesse de Robert Bourassa, qui se félicitait de pouvoir compter sur la «prime de l'urne». Oublié que les «discrets», de même que les «indécis», sont le plus souvent des électeurs libéraux qui n'osent révéler leur choix parce qu'ils sont intimidés par l'impopularité du parti dans les médias. Oublié, enfin, que les deux piliers du PLQ - les gens âgés et les non-francophones - sont précisément ceux qui vont voter en plus grand nombre, les premiers parce qu'ils s'en font un devoir, les seconds parce qu'ils ont peur du PQ. L'erreur des sondeurs est d'avoir réparti les indécis dans les mêmes proportions que les «décidés».