Il est parti en laissant la maison en ordre, en prenant à son compte tout ce qui avait mal marché, comme l'exigeait son sens très élevé de la responsabilité.

Loin d'être en débandade comme l'avaient prédit les sondages et le choeur des médias, le Parti libéral sort de ces élections en excellent état. Ce fut d'ailleurs la principale surprise de l'élection.

Loin d'être déclassé par la CAQ, le PLQ devient l'opposition officielle... avec 50 députés, seulement quatre de moins que le PQ, et 31,2% du vote populaire, soit seulement 0,7 points de moins que le parti au pouvoir!

On s'attendait à trouver au fil d'arrivée un parti exsangue et démoralisé dont aucune personnalité de calibre ne voudrait solliciter le leadership, ce n'est pas du tout le cas... et qui donc les libéraux peuvent-ils remercier, sinon ce leader incroyable qui a subi calmement les pires insultes tout en menant tambour battant et dans la bonne humeur une campagne vigoureuse?

Exit Jean Charest, donc, ce mal-aimé qui incarnait plus que tout autre chef de parti - certainement plus, en tout cas, que Pauline Marois et François Legault - les plus admirables valeurs de la démocratie libérale, celles dont on regrettera bientôt l'absence dans notre univers politique de plus en plus empreint de sectarisme. La tolérance, l'attachement aux libertés civiles fondamentales, le respect des minorités, l'ouverture à la différence et à la diversité, une générosité de coeur excluant les procès d'intention et la rancune.

Dans cette campagne houleuse, un incident m'a frappée. Le metteur en scène Robert Lepage, que le gouvernement Charest avait comblé de subventions, venait de rallier publiquement le camp de Pauline Marois. Aux journalistes qui lui demandaient sa réaction, M. Charest a dit très sereinement, sans une once d'amertume, qu'il admirait beaucoup M. Lepage et que ce dernier avait entièrement droit à ses opinions.

Il n'a pas dû réagir autrement lorsque Julie Snyder, l'épouse de Pierre-Karl Péladeau, oubliant les largesses dont elle-même et son mari ont bénéficié (le Colisée de Québec, la gratuité des traitements de fertilité qu'elle avait réclamée à cor et à cri), est allée se jeter dans les bras de Pauline Marois.

Même sérénité devant l'ultime ingratitude dont peut souffrir un homme politique: son rejet par sa propre circonscription. Dans son discours de fin de soirée, il a redit son amour pour Sherbrooke, comme s'il n'en gardait que les bons souvenirs.

Jean Charest aura été diabolisé au-delà de ce qu'un être humain peut normalement supporter. Ses adversaires, à coup d'allégations sans preuve et de méchants ragots basés sur les ouï-dire et la culpabilité par association, ont réussi à le dépeindre comme un politicien vil et cupide à la tête d'un parti corrompu jusqu'à la moelle, alors que la seule chose qu'on ait pu lui reprocher est d'avoir accepté un supplément de revenu financé par son parti - une pratique contestable, peut-être, mais absolument pas illégale.

Comme si ce n'était pas assez, on a complètement travesti son idéologie, en le dépeignant comme un affreux «néo-libéral» - une absurdité quand on sait que sous son règne, le Québec n'a pas dévié d'un pouce de sa tradition social-démocrate.

Mais le plus odieux, ce fut le discours méprisable (hélas fort répandu) des ultra-nationaleux qui l'ont rebaptisé John James, manière de l'accuser du pire des crimes, celui d'être, derrière son patronyme français, un «Anglais», trop fédéraliste, trop proche du Canada et trop bilingue pour être un «vrai Québécois»...

Après des années de ce genre de traitement, il fallait une remarquable grandeur d'âme pour n'être pas devenu amer et cynique.