Un beau dimanche ensoleillé dans les Laurentides. Autour des épis de maïs et d'un moelleux saumon en papillote, une dizaine de convives, dont six professeurs d'université, une psychologue, une bibliothécaire, deux étudiants et une journaliste, autant dire des gens très bien informés...

On parle des élections. Plusieurs n'ont pas encore fait leur choix et hésitent entre deux partis, d'autres ont été tentés par l'annulation mais l'écarteront, car dans notre système, l'annulation équivaut à l'abstention. Pareille indécision dans ce genre de milieu, et ce, à deux jours des élections, c'est du jamais vu.

Aujourd'hui, les indécis se résoudront à ajouter leur poids dans la balance. Et ce soir, enfin, on saura...

À l'inverse, il y a des gens qui se décident étrangement tôt, d'où la hausse suspecte du vote par anticipation. Un phénomène qui augmente d'une élection à l'autre. En 1998, seulement 5% des électeurs s'étaient prévalus de ce privilège; 10 ans plus tard, c'était le cas de 12% de l'électorat. Compte tenu du faible taux de participation global, cela veut dire qu'en 2008, 1 électeur sur 5 (plutôt que 1 sur 14 en 1998) a voté à partir d'une information incomplète.

Qui sait ce qui peut se passer ou se dire durant la dernière semaine d'une campagne électorale? Bien des choses, qu'il est utile de savoir si l'on veut voter en toute connaissance de cause.

Il va de soi que le vote par anticipation est une nécessité pour certains: ceux qui seront hors de la ville le jour du scrutin, ceux qui ne peuvent physiquement endurer la file d'attente du jour J, ou ceux qui ont des obligations personnelles ou professionnelles. Ainsi, pour la psy mentionnée plus haut, le mardi est le jour où elle a le plus de rendez-vous, et il était impossible de chambarder les horaires de sa clientèle.

Je comprends aussi que les partisans ultra-militants, les péquistes teints en bleu et les libéraux teints en rouge, dont le choix est arrêté depuis toujours, veuillent en finir au plus tôt. Ceux-là, rien de ce qu'ils pourraient apprendre durant la dernière semaine ne pourrait les faire changer d'idée.

Mais les autres? Pourquoi cet empressement à «se débarrasser» de son devoir civique avant l'heure? Cela trahit un certain mépris envers les leaders et les candidats qui se décarcassent pour exposer leur pensée et leurs objectifs, comme s'il ne valait plus la peine qu'on leur prête attention.

Cela trahirait-il aussi une sorte de légèreté envers ce qui est, oui, un devoir? Plus qu'un devoir, un privilège, quand on pense à tous ces pays où de simples citoyens sont prêts à risquer leur vie pour conquérir le droit de choisir leurs dirigeants.

Gardons-nous toutefois de sacraliser le droit de vote comme si c'était le seul marqueur de la démocratie. Les Afghans ont voté en grand nombre et ce malheureux pays reste un enfer d'obscurantisme et de corruption. En Russie, il y a des élections, mais les dissidents sont assassinés ou emprisonnés après des procès bidon.

Les récentes élections libres, en Tunisie et en Égypte, ont entraîné la montée de l'islamisme radical, un phénomène pire (pour les femmes en particulier) que les précédents régimes autoritaires et cupides. S'il faut choisir entre deux maux, mieux vaut avoir affaire à un fonctionnaire qui exige un backchish qu'à un commissaire salafiste!

Le droit de vote est un aspect fondamental de la démocratie, mais ce n'est pas le seul. Une société n'est réellement démocratique que si elle repose sur un État de droit et sur un ensemble de valeurs, dont le respect des libertés civiles et la tolérance envers les minorités.