Un chroniqueur de France Culture a déniché un document étonnant sur la Grèce, un récit d'actualité brûlante qui date de... 1854, vingt ans après que la Grèce eût acquis son indépendance de l'Empire ottoman.

À l'heure où ce petit pays délinquant tient l'Europe en haleine, il est fascinant de voir à quel point rien n'a changé... ce qui montre bien que la fraude fiscale, loin de n'être qu'une accumulation de petites malhonnêtetés individuelles, est d'abord une question de culture politique.

Voici donc des extraits de La Grèce contemporaine d'Edmond About.

«La Grèce est le seul exemple connu d'un pays vivant en pleine banqueroute depuis le jour de sa naissance. Si la France et l'Angleterre se trouvaient seulement une année dans cette situation, on verrait des catastrophes terribles. La Grèce a vécu plus de vingt ans en paix avec la banqueroute.

«Tous les budgets, depuis le premier jour jusqu'au dernier, sont en déficit.

«Lorsque, dans un pays civilisé, les recettes ne suffisent plus à couvrir les dépenses, on y pourvoit au moyen d'un emprunt fait à l'extérieur... un moyen que le gouvernement grec aurait tenté sans succès.

«Il a fallu que les puissances protectrices de la Grèce garantissent sa solvabilité pour qu'elle négociât un emprunt à l'extérieur. Les ressources fournies par ces pays ont été gaspillées par le gouvernement, et une fois l'argent dépensé, il a fallu que les garants, par pure bienveillance, en servissent les intérêts: la Grèce ne pouvait point les payer.

«Aujourd'hui, elle renonce à l'espérance de s'acquitter jamais.

«La Grèce est le seul pays civilisé où les impôts soient payés en nature. Le gouvernement a d'abord essayé d'affermer l'impôt, mais les fermiers manquaient à leurs engagements et l'État n'avait aucun moyen de les contraindre.

«Depuis que l'État s'est chargé lui-même de percevoir l'impôt, les frais de perception sont plus considérables, et les revenus à peine augmentés.

«Les riches propriétaires, personnages influents, achètent ou intimident les percepteurs. Ces derniers, mal payés, sans avenir assuré, sûrs d'être destitués au premier changement de ministère, ne prennent point, comme chez nous, l'intérêt de l'État. Ils ne songent qu'à se faire des amis, à ménager les puissances et à gagner de l'argent.

«Quant aux petits propriétaires, ils sont protégés contre les saisies, soit par un ami puissant, soit par leur propre misère.

«La loi n'est jamais, en Grèce, cette personne intraitable que nous connaissons. Tous les Grecs se connaissent beaucoup et s'aiment un peu. Ils ne connaissent guère cet être abstrait qu'on appelle l'État, et ils ne l'aiment point. Enfin, le percepteur est prudent: il sait qu'il ne faut exaspérer personne, qu'il a de mauvais passages à traverser pour retourner chez lui, et qu'un accident est bientôt arrivé.

«Les contribuables nomades, bergers, charbonniers ou pêcheurs, se font presque un point d'honneur de ne point payer d'impôt. Ils pensent, comme au temps des Turcs, que leur ennemi c'est leur maître, et que le plus beau droit de l'homme est de garder son argent.

«C'est pourquoi les ministres des Finances, jusqu'en 1846, faisaient deux budgets de recettes: l'un, le budget d'exercice, indiquait les sommes que le gouvernement devait recevoir dans l'année; l'autre, le budget de gestion, indiquait ce qu'il espérait recevoir. Il aurait fallu prévoir un troisième budget, indiquant les sommes que le gouvernement était sûr de percevoir.

«Par exemple, en 1845, pour les oliviers du domaine public loués aux particuliers, le gouvernement inscrivait au budget d'exercice la somme de 441 800 drachmes, et au budget de gestion, 61 500 drachmes - espérance présomptueuse, car l'année précédente, l'État n'avait perçu que 4457 drachmes, c'est-à-dire environ 1% de ce qui lui était dû...»