Parmi toutes les erreurs commises par le gouvernement Charest dans la crise des carrés rouges, il y en a une dont on parle moins, mais qui d'après moi est majeure: celle d'avoir cédé aux étudiants qui tenaient à négocier directement avec les ministres - demande caractéristique de cette génération habituée à «négocier» d'égal à égal avec ses parents et ses profs...

Cela n'a engendré, des deux côtés, que des frustrations.

Ce n'est pas par hasard que dans toute négociation sérieuse, les deux parties - patronale et syndicale - sont représentées par des tiers, des professionnels rompus à ce genre d'exercice. Les centrales syndicales ont leurs experts en la matière, le gouvernement aussi, de même d'ailleurs que les grandes entreprises.

Ces experts ont des mandats - ils savent jusqu'où ils peuvent aller, ce qu'ils peuvent céder ou exiger; en cas d'impasse, ils quittent la table pour en référer à leurs mandataires et y reviennent pourvus d'une nouvelle marge de manoeuvre. Dans les négociations du secteur public par exemple, ce n'est qu'exceptionnellement que les ministres sont sur la sellette, et si le premier ministre intervient, c'est en bout de ligne - et en privé, seul à seul avec les présidents de centrales.

Le mérite de ce système est de dédramatiser les choses, d'évacuer des discussions l'émotivité et les questions d'ego, et d'empêcher les confrontations personnelles.

Lors d'une première rencontre, la représentante des recteurs et celle de la FEUQ se sont prises aux cheveux. Lors des derniers pourparlers, cette dernière s'emportait au point de contester les chiffres du sous-ministre des Finances!

Ces face-à-face orageux entre hauts fonctionnaires, politiciens et étudiants étaient insensés, d'autant plus que les porte-parole étudiants n'étaient pas des négociateurs crédibles.

Les plus modérés refusaient de recommander à leurs troupes d'accepter un accord qu'ils avaient pourtant signé, et celui qui représentait la majorité des grévistes avait bien fait savoir qu'il était là non pas pour négocier, mais pour «exiger».

De toute façon, la «démocratie directe», qui est le mode de fonctionnement des carrés rouges, est inconciliable avec une négociation classique fondée sur la démocratie de représentation et la responsabilité personnelle des chefs syndicaux.

C'était une situation inédite et un piège dans lequel le gouvernement n'aurait pas dû tomber.

La ministre Beauchamp y a sacrifié sa carrière. Elle s'est investie dans un semblant de négociation marquée par l'irrationalité et la mauvaise foi, et à la fin présentait le pitoyable spectacle d'une brebis expiatoire dont les étudiants avaient «eu la peau».

La ministre Courchesne, nerveuse, tendue, y a laissé, quant à elle, une partie de sa dignité. Dixit le représentant de la CLASSE au Devoir: «Michelle [sic] se fâche tellement qu'elle en perd son soulier. Elle dit que politiquement elle ne peut pas [céder], mais que notre raisonnement se tient».

Ces deux ministres auraient dû laisser la gestion des pourparlers à l'avocat qui a mené la dernière ronde du secteur public, quitte à siffler la fin de la récréation en cas d'impasse. Et M. Charest n'aurait jamais dû céder aux étudiants qui réclamaient sa présence. Il s'y est résolu de mauvais gré, et son air rabougri n'a fait que confirmer l'impression qu'il était furieux de se voir forcé par une certaine opinion publique de se prêter au jeu de la négociation.

En fait, aucune des deux parties ne voulait négocier. Les étudiants radicaux ne voulaient que la reddition totale du gouvernement. Et la façon erratique dont le gouvernement a mené ces négociations a démontré qu'il refusait de faire d'autres compromis. C'était son droit, mais alors il aurait dû le dire clairement plutôt que de mener tout le monde en bateau.