Je n'aime pas les films qui s'étirent, et 2 heures 40 me semblaient franchement dépasser les bornes. Pourtant, Laurence anyways ne m'a pas ennuyée une seconde et le temps a passé très vite.

J'en suis sortie secouée, émue, et le lendemain, j'avais encore en tête le personnage bouleversant de Laurence et de son extraordinaire interprète, un Melvil Poupaud tout en sensibilité et en finesse. Le troisième film de Xavier Dolan, malgré son ton burlesque et ses outrances, est une très grande histoire d'amour.

Un amour partagé, mais impossible. Un couple amoureux et déchiré, victime d'une immense tragédie humaine.

«Je veux un homme!», s'écrie Fred (Frédérique), désespérée de devoir faire le deuil de son amant pourtant vivant et toujours amoureux.

On la comprend! On la comprend aussi, jusqu'à un certain point, de s'être un certain temps accrochée au rêve fou qu'elle pourrait l'accompagner dans sa transformation, tant cet amour-là était fort et têtu.

On le comprend, lui aussi, de tenir à Fred contre vents et marées, tant il est vrai que contrairement à un préjugé courant, les «trans» ne sont pas nécessairement des homosexuels. Laurence devenue femme n'aime encore que les femmes, et Fred par-dessus tout. Ce scénario bouscule les lignes, et nous amène plus loin que la sexualité, dans les abysses de l'âme humaine, dans la mer sombre de ce que les psychanalystes appellent la psychologie des profondeurs.

Il y a toutes sortes de choses dans ce film exubérant, baroque, désordonné et excessif: un pédantisme agaçant, une réflexion (superficielle) sur la transsexualité, des observations (superficielles, elles aussi) sur la société, des scènes d'un onirisme puissant, des clins d'oeil aux classiques... Quand Laurence trouve refuge dans un faux cabaret peuplé de travestis et de vieilles putes, on pense à Almodovar, à Fellini. Quand Fred s'en va au bal, la scène évoque Visconti par sa somptuosité, mais prend vite une tournure surréaliste: jamais rencontre entre deux danseurs n'aura été filmée de manière aussi romantique.

Il y a d'autres trouvailles: quand Fred lit un poème de Laurence, il se passe quelque chose que je ne vous décris pas, mais qui illustre l'ampleur du choc qu'elle éprouve. Quand ces deux-là se retrouvent, pour quelques jours de liberté volés à la réalité, la caméra devient ivre de bonheur.

Malgré l'insolente assurance de l'extrême jeunesse qui lui fait croire qu'il vient de faire le chef-d'oeuvre de sa vie, ce film aurait probablement été meilleur si Dolan avait eu dix ans de plus, mais sans doute aurait-il perdu la spontanéité débridée qui en fait le charme.

Hélas, un détail - d'ailleurs récurrent dans le cinéma québécois - a gâché mon plaisir: la détestable dichotomie entre les acteurs français, qui parlent clairement, et le «parler mou» des Québécois. Et fallait-il vraiment multiplier les sacres?

Quand Fred et ses proches ouvrent la bouche, c'est une litanie de «fuck», «bitch», «marde» et «ostie», alors que leurs personnages, dans la vie réelle, parleraient beaucoup moins mal. Martine Desjardins, de la FEUQ, est de la même génération et du même milieu que Fred, et elle sait s'exprimer, non?

Les personnages français se comportent en gens civilisés. Les jeunes personnages québécois ont l'air de barbares illettrés incapables de s'exprimer autrement qu'en mâchonnant les mots et en hurlant des insultes primaires, comme Fred qui, dans une scène qui est de trop, s'en prend à la vieille serveuse d'un café minable.

Cela n'a pas semblé déranger les critiques français. Peut-être trouvent-ils cela exotique, ou alors ils s'imaginent que ce sabir est la langue nationale du Québec. Triste...