La campagne présidentielle française a pris l'allure d'une grand-messe populiste, près du tiers des Français s'apprêtant à voter aux extrêmes. Dans le coin droit, Marine Le Pen avec ses tirades contre l'immigration. Dans le coin gauche, Jean-Luc Mélenchon avec son petit livre rouge.

Les derniers sondages montrent que la candidate du Front national est la favorite des 18-24 ans, avec 26% d'appuis... Mais la star qui monte, dégageant autant d'enthousiasme que d'effroi, c'est le leader du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon.

Rendu à 15%, à une douzaine de points derrière MM. Sarkozy et Hollande qui se disputent la première place, il devance de deux points Mme Le Pen dans l'ensemble de l'électorat... Chez les 18-24 ans, toutefois, M. Mélenchon ne récolte que 16% d'appuis (neuf points de moins que Nicolas Sarkozy). La rhétorique littéraire et surannée de celui qu'on surnomme Mao-Lenchon ne fait pas le poids en comparaison de la langue simple et directe de «Marine», qui a le mérite d'être elle aussi «contre le système» tout en étant une jeune mère de famille «moderne»: loin de l'ultra-conservatisme du Tea Party, elle n'est ni contre les gais, ni contre le principe de l'avortement.

Entre un Nicolas Sarkozy impopulaire et le personnage falot de François Hollande, Mélenchon est celui dont le verbe est le plus inspirant. On se rue à ses meetings. Pour les Français excédés d'entendre parler de crise et d'austérité, Mélenchon incarne un splendide retour en arrière, à l'époque dorée des grandes marches rouges, des poings gauches levés vers le ciel et des chants révolutionnaires qui annonçaient le Grand Soir. Le romantisme, enfin!

Christophe Barbier, de L'Express, le dit très joliment: «Mélange de folklore tribunitien, de bolchévisme light et de juste colère, Mélenchon plaît parce qu'il est la bouche fumante du mécontentement social, parce qu'il y a en lui de la légitimité populaire et un air, si français, de barricades.»

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À moins de deux semaines du premier tour, le jeu ne ressemble plus au début du match, alors que François Hollande voguait sans encombre vers une victoire facile au premier tour. Renforcé dans sa stature présidentielle par la façon dont il a réagi à la tuerie de Toulouse, et avantagé par le dynamisme de sa campagne, Nicolas Sarkozy a gagné du terrain.

Un sondage Opinion Way montre qu'il a deux fois plus de crédibilité que M. Hollande quand il s'agit de «prendre des décisions difficiles», de «lutter contre l'immigration clandestine», de «défendre les intérêts de la France à l'étranger» et de «lutter contre l'insécurité». Ce n'est qu'au chapitre du «social» et de l'éducation que M. Hollande a l'avantage. Dans les derniers sondages, M. Sarkozy dépassait de deux points son rival, dont l'image se ternit à mesure que le temps passe.

Si M. Hollande semble encore devoir l'emporter au second tour, sa victoire est moins certaine qu'elle ne l'était au départ. Il peut certes compter sur les partisans du Front de gauche, mais il aura aussi besoin des votes centristes de François Bayrou.

Or, la montée de Mélenchon pourrait rebuter nombre de centristes, car elle annonce en quelque sorte la prise en otage du PS par sa gauche radicale. Hollande, tout seul, n'avait rien pour effrayer les centristes, car l'homme, de tempérament pondéré, est davantage social-démocrate que socialiste. Mais s'il est soumis aux pressions de Mélenchon et des communistes (qui forment, à côté de quelques phalanges trotskystes, la majorité des membres du Front de gauche), c'est une autre histoire... D'où le contentement de Nicolas Sarkozy, dont Mélenchon est devenu le meilleur allié objectif.