Qui dit qu'un pont n'est qu'un moyen de surplomber un cours d'eau? Qui dit qu'un pont ne peut pas être une oeuvre d'art?

C'est une question dont on parle beaucoup ces temps-ci, à propos du projet d'un nouveau « pont Champlain ».

Effectivement, le Golden Gate fait partie des attractions touristiques de San Francisco, tout comme le merveilleux viaduc de Millau, dans le Haut-Languedoc, est un ouvrage d'une grâce inouïe, même si sa finalité est de surplomber une profonde vallée pour faciliter la circulation sur l'autoroute du centre de la France.

Je viens de découvrir, au Portugal, d'autres exemples qui devraient convaincre nos décideurs qu'un pont doit être plus qu'une chose utile : une belle oeuvre architecturale.

La ville de Porto s'enorgueillit, à juste titre, de ses trois ponts qui enjambent le Douro: le pont ferroviaire Maria Pia, une structure entièrement métallique achevée en 1877 par nul autre que Gustav Eiffel; le pont routier Luis 1er, avec ses deux tabliers superposés desservant les quartiers hauts et bas de chaque rive, magnifique ouvrage réalisé en 1886 par des disciples d'Eiffel.

Ces deux ponts sont étoilés au Michelin, au même titre que la cathédrale et l'église Sao Francisco. La proximité du pont Luis 1er fait une partie du charme du quai de la Ribeira, l'un des sites les plus délicieux de Porto, et un ascenseur partant de la ville haute permet aussi d'en admirer la structure de plus près.

Le troisième pont, celui d'Arrabida, est plus moderne mais élégant lui aussi. Il date de 1963, franchissant le Douro en une seule arche de béton armé de 270 mètres.

« Porto a couché ses tours Eiffel à l'horizontale : elles lui servent de ponts », a joliment écrit Paul Morand.

À Lisbonne aussi, Eiffel a fait des petits. L'ascenseur Santa Justa, qui relie la haute et la basse ville, est une très belle tour de fer forgé construite elle aussi par un disciple d'Eiffel en 1901.

Pour revenir au pont Champlain, il va de soi qu'il s'agira d'un projet autrement plus considérable. Le Douro, tout « fleuve » soit-il, et quoique de dimension fort respectable pour l'Europe, est une rivière à comparer au fleuve Saint-Laurent.

La conception du nouveau pont Champlain, si elle sort de l'ordinaire et est confiée à un architecte de talent, sera plus coûteuse, et plus problématique. Mais c'est une chance à ne pas rater (la seule qui s'offrira à nous au XXIe siècle), celle de doter Montréal d'un grand ouvrage emblématique.

Il faudra toutefois redoubler de vigilance, car la qualité des travaux publics s'est extraordinairement dégradée avec le temps.

Voyez ce pont Champlain qui tombe en désuétude après seulement 50 ans, alors que le pont Victoria, avec sa structure gracile mais solide, tient toujours bon après 153 ans... Le pont Jacques-Cartier, un ouvrage de fer autrement plus intéressant que le banal pont Champlain, n'a pas besoin d'être reconstruit même s'il date de 1930.

J'ai aussi découvert au Portugal une formule de péage ingénieuse qui pourrait fort bien être installée sur nos autoroutes. On a éliminé les postes de péage pour les remplacer par un système électronique qui enregistre les données de votre véhicule. Vous entendez un déclic, et ça y est, on vous facturera ce péage virtuel. Il ne reste qu'à déterminer le mécanisme adéquat pour la perception.

La beauté de la chose est que cette formule ne ralentit pas la circulation, tout en faisant payer l'utilisateur... ce qui m'apparaît parfaitement normal car l'autoroute est un service, pas un droit.