Ramassé dans une salle d'attente, un numéro de Marianne datant de mai dernier... L'affaire DSK venait d'exploser. Pour les socialistes français, le monde s'écroulait. Et le magazine se demandait lugubrement si «la gauche peut encore gagner».

En quelques mois, tout a changé, et le titre qui s'imposerait aujourd'hui serait: «la droite peut-elle encore gagner?»

Il y a d'abord la répulsion profonde, tenace, probablement irréversible, qu'inspire le président Sarkozy à nombre de Français. Même des gens qui ont voté pour lui en 2007 se plaignent de ce qu'il aurait «désacralisé» la fonction de chef d'État.

Le terme est un peu fort, quand on pense aux turpitudes de ses prédécesseurs. Mais tout de même, un président de la République qui houspille un manifestant en argot, et qui, alors même qu'il est reçu en audience par le pape, s'amuse à pianoter sur son BlackBerry...

La présidence fantasque de Sarkozy a épuisé les Français: trop de coups d'éclat improvisés, trop de virages politiciens, trop d'épanchements viscéraux. En ce sens, il suffirait que le candidat socialiste ne commette pas trop de gaffes et se comporte avec un certain sérieux pour que le PS voie enfin s'ouvrir les portes de l'Élysée qui lui étaient fermées depuis dix-sept ans.

Depuis un an, Nicolas Sarkozy a tout fait pour changer son image. Plus digne, plus réservé, il a joué - avec, faut-il dire, une habileté certaine - les sauveurs de l'Europe coude à coude avec Angela Merkel, s'abstenant de réagir à chaque fait divers, s'abstenant même d'exploiter la naissance de sa fille. Mais ce recadrage s'est produit trop tard.

N'importe. Sarkozy s'accrochait encore, la semaine dernière, à son statut de président, même s'il devrait normalement être entré en campagne. Dans une grande entrevue télévisée, il annonçait diverses mesures sous le signe de la rigueur et de la lutte au chômage, comme si, résigné à la défaite (une hypothèse qu'il a eu l'imprudence d'évoquer en conversant avec des journalistes), il voulait laisser in extremis le souvenir d'un leader responsable.

Cela n'a pas fait bouger les chiffres, qui pour l'heure (mais on est à trois mois des élections) donnent un net avantage à François Hollande, un personnage sans éclat qui n'a aucune réalisation à son actif, mais qui, toutefois, mène une campagne efficace malgré des promesses inconsidérées sur lesquelles il aura bien du mal à revenir (exemple: l'embauche, en temps de crise budgétaire aiguë, de 60 000 nouveaux enseignants en cinq ans!).

Paradoxalement, un récent sondage d'Opinion Way pour le Figaro et la chaîne d'information LCI montre que malgré son retard de plusieurs points par rapport au candidat socialiste, c'est encore à Sarkozy qu'une forte majorité de Français fait confiance en ce qui concerne les missions régaliennes de l'État (immigration clandestine, sécurité, gestion du pays, sortir de la crise).

Par ailleurs, le même sondage indique que les mesures annoncées par le chef de l'État sont fort bien reçues (l'exception étant la hausse de la TVA en contrepartie de la baisse des charges sur les salaires), même si plusieurs experts n'y ont vu que de la poudre aux yeux.

Les jeux ne sont donc pas faits, mais il faudrait, pour qu'un revirement se produise, que Nicolas Sarkozy fasse une campagne extraordinairement vigoureuse et superbement inspirante, que François Hollande s'effondre en cours de route et perde les appuis sur lesquels il peut normalement compter au second tour... et que les Français se disent qu'en temps de crise, mieux vaut choisir, quitte à se pincer le nez, un leader qui a de l'expérience et l'esprit de décision.