Anecdote rapportée par Franz-Olivier Giesbert, dans son excellent livre-portrait sur Nicolas Sarkozy...   Sarkozy à Angela Merkel, parlant de leurs efforts incessants pour sortir l'Euro (pe) du pétrin: «Toi tu es la tête, moi je suis les jambes».   «Non, Nicolas. Toi tu es la tête et les jambes. Moi, je suis la banque.»

C'est vrai, l'Allemagne est riche, en bonne partie grâce à sa prudence budgétaire et à sa population disciplinée. Mais l'Allemagne seule ne peut sauver l'Europe. Pour cela, il faut aussi le concours de la France, son expertise diplomatique, sa vitalité culturelle et sa productivité, beaucoup plus élevée qu'on ne le croit - la France qui a aussi l'avantage stratégique d'être à la fois un pays du nord et un pays du sud, de l'industrieuse Alsace aux cigales de la Méditerranée... et qui, en ce sens, incarne mieux le continent que toute autre nation.

La Grande-Bretagne ayant retiré ses billes, l'Europe est en quelque sorte revenue au jour de sa naissance, reposant tout entière sur le socle solide du couple fondateur: la France et l'Allemagne, les deux grandes puissances européennes qui, miracle inouï dû à la volonté de quelques grands hommes d'État, ont su enterrer un siècle de guerres atroces pour baliser un avenir fondé sur la coopération, seul gage de paix après tant de sang versé.

Aussi décevants que puissent être ses résultats, le ballet compliqué auquel se sont livrés le président français et la chancelière allemande, lors de ces dernières semaines, force l'admiration.

Voici deux êtres que tout sépare, le tempérament aussi bien que leurs égoïsmes nationaux, et qui sont au surplus particulièrement vulnérables puisqu'ils sont tous deux en pré-campagne électorale.

N'importe. La placide Angela et l'impétueux Nicolas sont devenus, par la force des choses, le couple de l'année.

La première a accepté de participer au sauvetage du sud, au risque de s'aliéner un électorat excédé de devoir payer pour les fraudeurs et les dépensiers, et le second s'est engagé à l'austérité budgétaire, au risque de s'aliéner un électorat pour qui la rigueur est un vilain mot à ranger au rayon des jurons et des grossièretés.

Cela n'ira pas sans heurt. Les Allemands, moins extravertis que les Français, se contentent de ronchonner à mi-voix contre ce partenaire imprévoyant et peu fiable. En France, par contre, l'axe Berlin-Paris suscite un tollé exacerbé par l'approche des élections présidentielles.

Des ténors socialistes comparent Merkel à Bismarck, l'ennemi de 1870, ou Sarkozy à Daladier, qui pactisait avec Hitler en 1938. Des parallèles «scandaleux», dit avec raison l'historien Max Gallo, et qui, selon le ministre Juppé, «risquent de réveiller les vieux démons de la germanophobie». Les critiques les plus modérés reprochent à Sarkozy de compromettre la souveraineté nationale en s' «annexant» à l'Allemagne.

Pourtant, comme le signale Christophe Barbier de L'Express, ne vaut-il pas mieux «être souverain avec l'Allemagne que dépecé dans son coin» ?

Déjà se profilent, pour le meilleur ou pour le pire, et sous l'inéluctable pression des marchés et des agences de crédit, les contours d'un authentique fédéralisme européen. Barbier, comme plusieurs autres, pense que «la fusion franco-allemande est la meilleure chose qui puisse arriver à l'Europe.»

«Pour l'économie, dit-il, la France apporte sa démographie afin d'étayer la croulante pyramide des âges germanique, l'Allemagne propose sa puissance industrielle. Côté social, l'Allemagne sait organiser le dialogue, et la France, la dépense. En géopolitique, la France agit, l'Allemagne compte. Et pour la culture, bien sûr, la France est la meilleure et l'Allemagne aussi.»

Est-ce de l'optimisme ou de la résignation? On verra...