Je n'ai jamais rencontré une femme qui aime passer une mammographie. L'examen est déplaisant, mais le pire c'est l'attente précédant le diagnostic.

Oui, on obtient parfois des diagnostics «faussement positifs». Oui, on risque de subir une biopsie superflue. Mais je ne connais pas une seule femme qui ne soit pas prête à subir ces inconvénients si c'est le prix à payer pour capter à temps une tumeur qui, laissée à elle-même, vous coûterait la vie. L'angoisse induite par l'incertitude et les «faux positifs» est pénible, mais ce n'est rien, à comparer avec un verdict de mort!

Les nouvelles directives émises par un panel d'experts de l'Agence de la santé publique du Canada risquent d'accroître la confusion.

On peut comprendre qu'une mammo aux deux ans suffit pour les femmes ménopausées. On peut comprendre, à la rigueur, qu'il n'est pas utile de soumettre à la mammographie les femmes dans la quarantaine qui ne présentent pas de risque particulier... encore que l'on puisse préférer se fier à la Fondation canadienne du cancer, qui estime que le dépistage précoce peut réduire de 25% la mortalité chez les femmes de cette cohorte d'âge.

Il reste que sur ces deux points, les «nouvelles» directives n'ont rien de nouveau: ces normes sont celles qui prévalent déjà dans les services de santé, du moins au Québec.

Là où les choses dérapent, c'est que ces experts nous disent que l'auto-examen des seins est inutile, de même que l'examen manuel pratiqué par un médecin ou une infirmière. Ah bon? Mais alors, comment la détectera-t-on, cette tumeur? C'est pourtant par la palpation que la plupart des victimes ont découvert la terrifiante «bosse». Pourquoi serait-il contre-productif de se palper régulièrement et méthodiquement? Pourquoi l'examen pratiqué par un professionnel de la santé serait-il superflu, voire «nocif», comme le prétendent nos experts?

Ce qui dérange, dans ces directives fondées sur des études épidémiologiques qui font abstraction des cas individuels, c'est qu'on y sent bien, en filigrane, la volonté de réduire les coûts du système. On y sent aussi un certain paternalisme, comme si les femmes soucieuses de dépistage précoce étaient le jouet de frayeurs irrationnelles qu'il faudrait ramener à la raison.

Un bon exemple de cette mentalité est un récent article d'André Picard du Globe and Mail, un journaliste spécialisé dans les questions de santé publique.

Bonjour la condescendance, il nous dit que les femmes ont besoin d'un «reality check», d'un ré-examen de la réalité fondé sur la science plutôt que sur leurs émotions. Certes, dit-il, le cancer du sein tue beaucoup de femmes, mais la plupart ont plus de 70 ans. Or, «nous mourrons tous de quelque chose» (sic).

Pourtant, 80% des nouveaux cas concernent des femmes de plus de 50 ans... et celles qui survivent le doivent au dépistage précoce au moins autant qu'aux thérapies. Alors quoi?

M. Picard, lui, croit que «ce qui marche, c'est la prévention». Il clôt son petit laïus par ce conseil jovialiste: «Soyez active physiquement, surveillez votre alimentation et votre poids, ne fumez pas, buvez modérément, limitez l'exposition aux estrogènes et aux radiations... Vivez bien, n'ayez plus peur».

Allez dire cela à mes amies qui ont souffert du cancer du sein: toutes, sans exception, faisaient du sport et avaient un mode de vie extrêmement sain. La triste réalité, c'est que s'il y a des cancers qu'on peut prévenir (par exemple le cancer du côlon par la coloscopie), il est impossible de prévenir le cancer du sein.