Un seul homme contre 1027 prisonniers qui ont pour la plupart du sang sur les mains, et l'on appelle cela un «échange»?

Il faut vraiment vivre sur la Lune pour croire, comme Ban Ki-moon et Tony Blair, que cette entente - si l'on peut utiliser ce mot pour désigner une extorsion caractérisée - pavera la voie à la paix au Proche-Orient. C'est le contraire qui risque de se produire.

Les premières centaines de prisonniers palestiniens libérés - des gens qui purgeaient des peines de prison pour avoir participé à des attentats qui ont fait des dizaines de morts chez les civils israéliens et les touristes étrangers - ont été accueillis en héros à Gaza, passant entre les haies d'honneur formées par les combattants masqués des brigades Qassam (le bras armé du Hamas) qui brandissaient leurs Kalashnikov et leurs lance-grenades et tiraient en l'air pour manifester leur détermination.

Cette prise d'otage a été payante, et nombreux sont ceux qui veulent rééditer l'exploit en allant kidnapper d'autres soldats israéliens afin de rapatrier d'autres détenus. La foule, à Gaza City, criait «On veut un autre Gilad!», pendant que Wafa al-Bis, une femme qui a raté son attentat suicide en Israël, enjoignait un groupe d'écoliers de devenir à leur tour des «martyrs» en revêtant la sacro-sainte ceinture d'explosifs.

Le retour triomphal des prisonniers arrive à point nommé pour le Hamas, qui s'était vu court-circuiter ces derniers temps par l'éclatante offensive diplomatique de Mahmoud Abbas à l'ONU. L'Autorité palestinienne d'Abbas, seul interlocuteur raisonnable pour Israël, se retrouve ipso facto affaiblie, éclipsée par les islamistes radicaux du Hamas.

Par ailleurs, le gouvernement Nétanyahou s'est vu lui aussi obligé de raidir ses positions pour apaiser ceux qui l'accusent d'avoir trop cédé au Hamas (en particulier les proches des victimes des attentats dont les auteurs ont été libérés). Il vient d'annoncer d'autres constructions immobilières dans la partie arabe de Jérusalem-Est, ce qui ipso facto compromet sérieusement la reprise des pourparlers de paix.

Le gouvernement Nétanyahou n'avait pas le choix de tout faire pour obtenir la libération du soldat Shalit. Comme le service militaire est obligatoire en Israël, le pays s'est toujours donné pour principe sacré de ne jamais abandonner ses soldats derrière des lignes ennemies, qu'ils soient morts ou vifs.

En 2004, Israël a libéré 400 prisonniers palestiniens contre trois cercueils... ceux de soldats capturés par le Hezbollah. Pendant que les Israéliens récitaient le kaddish, la prière des morts, de l'autre côté de la frontière le Hezbollah réservait un accueil triomphal, avec tapis rouge et fanfare, à des hommes qui avaient été jugés coupables d'avoir participé à des attentats meurtriers.

En 2008, autre «échange» morbide: pour récupérer les cadavres de trois soldats capturés à la frontière libano-israélienne, Israël s'est résolu à libérer cinq prisonniers dont Samir Kantar, qui avait assassiné de sang-froid une famille juive dans des circonstances particulièrement dramatiques.

Gilad Shalit avait été kidnappé sur le sol israélien par un commando du Hamas. Il a passé cinq ans dans une cave sans voir la lumière du jour. Il a survécu (l'otage valait cher, on l'a quand même nourri), mais il est d'une pâleur cadavérique et d'une maigreur de vieillard, et peut à peine se servir de ses jambes.

Comble de l'indécence, alors qu'il était encore en état de choc et pas vraiment libre, les intermédiaires égyptiens à qui le Hamas l'avait remis l'ont fait interviewer par la télévision égyptienne... Aveuglé par les caméras, le jeune homme s'est fait demander s'il militerait désormais pour la libération des 5000 détenus qui restent dans les geôles israéliennes!