Les lubies monarchistes de Stephen Harper me donnent l'impression d'être retombée en enfance, à l'époque où je fréquentais avec ma mère les grandes salles de cinéma de la rue Ste-Catherine - le Loew's, le Capitol, le Palace, le York...

Je n'avais pas encore l'âge légal d'entrer au cinéma qui était alors, sauf erreur, fixé à 16 ans, mais la présence de ma mère avait l'effet d'un laissez-passer automatique.

Chaque fois, avant que le rideau se lève sur le film, on diffusait par haut-parleurs le God Save the Queen. Tout le monde ou presque se levait, mais ma mère et moi nous faisions un devoir de rester fièrement assises, furieuses et humiliées.

Or, voici que des décennies plus tard, le gouvernement « royal » du Canada nous en remet plein la vue avec la couronne britannique!

La marine et l'aviation sont rebaptisées à la sauce royale. Les ambassades sont tenues d'accueillir les visiteurs avec un portrait de la Reine. Pire, on décroche les deux natures mortes d'Alfred Pellan qui ornaient l'entrée du ministère des Affaires étrangères, à Ottawa, pour les remplacer par un portrait de qui vous savez.

Selon une information non confirmée du Devoir, Passeport Canada compterait même inscrire la couronne en filigrane dans les pages intérieures des futurs passeports électroniques. La couronne remplacerait-elle la feuille d'érable qui y apparaît actuellement? Ce serait bien le comble de l'illogisme, venant d'un gouvernement qui (autre lubie) entend sévir par des amendes, voire une peine de prison, contre quiconque empêcherait un citoyen d'exhiber l'unifolié; la loi invaliderait les règlements des immeubles en copropriété soucieux d'éviter pour des raisons esthétiques la prolifération d'affichages sur les balcons et aux fenêtres.

Et ce n'est pas fini! Le ministre des Affaires étrangères John Baird, un intime du premier ministre, vient de faire refaire ses cartes de visite. Le symbole royal est gravé en lettres d'or, et le mot « Canada », au bas de la carte traditionnelle des ministres, est éliminé, pour faire place à l'agrandissement du nom du ministre.

L'adresse officielle de son ministère, l'Édifice Lester B. Pearson, est également éliminée, illustrant la frénésie avec laquelle le gouvernement Harper tente d'effacer la moindre trace de l'héritage libéral. Plus mesquin que ça, tu meurs.

What's next? Quelques accords du God Save the Queen avant les allocutions de M. Harper?

Cette « royalisation » du Canada défie la raison. Elle va même contre l'intérêt électoral du gouvernement.

M. Harper veut-il irriter les francophones, dont il a pourtant besoin? Veut-il s'aliéner cette majorité de Canadiens qui, tout en ayant l'anglais comme langue d'usage, n'ont rien à voir avec la Grande-Bretagne?

S'il fut un temps où l'on pouvait parler d'un Canada anglais d'ascendance britannique, lequel faisait en quelque sorte pendant au Canada français d'ascendance française, ce temps est bien fini. Le Canada anglais est devenu une immense mosaïque de diverses origines.

Au Québec, on ne nourrit plus d'hostilité envers la famille royale. Seuls quelques fanatiques se sont donné la peine d'aller manifester contre le prince William et sa Kate. Ce qui prédomine, c'est une souveraine indifférence. Les Québécois, comme du reste les autres Canadiens, ont d'autres chats à fouetter que de se faire du mouron à ce sujet.

On s'accommode assez bien du fait que le chef de l'État canadien soit le monarque britannique (ou son représentant), parce qu'il est  dépourvu de pouvoir réel et surtout parce que la recherche d'une solution alternative serait compliquée et susciterait des querelles sans fin.

On tolère donc une présence discrète, purement symbolique, de la Couronne britannique. Mais voilà, on ne veut pas se la faire enfoncer dans la gorge.