La mort récente de la grande comédienne Annie Girardot - mort précédée d'une longue descente dans l'Alzheimer - a mis en relief un phénomène qui s'accentuera, hélas, avec le vieillissement de la population, soit l'impudeur éhontée avec laquelle on expose maintenant les malheureux vieillards affectés par cette maladie au regard du public. Une exploitation qui est le fait des enfants et des proches des victimes...

La mort récente de la grande comédienne Annie Girardot - mort précédée d'une longue descente dans l'Alzheimer - a mis en relief un phénomène qui s'accentuera, hélas, avec le vieillissement de la population, soit l'impudeur éhontée avec laquelle on expose maintenant les malheureux vieillards affectés par cette maladie au regard du public. Une exploitation qui est le fait des enfants et des proches des victimes...

Ceux qui ont regardé, à TV 5, le bulletin de nouvelles de France 2 annonçant la mort de la comédienne, en auront vu un exemple particulièrement ignoble. On y voit une Girardot méconnaissable, décharnée, l'air hagard, la langue pâteuse, adressant à la caméra des rictus de démente. Elle a tout oublié de sa vie précédente, elle ne se souvient même plus d'avoir été actrice, elle qui joua dans 257 films!

À qui doit-on ces images insoutenables? À sa fille unique, Giulia Salvatori (née d'un bref mariage avec un acteur italien), qui a permis il y a deux ans à un cinéaste «ami», Nicolas Beaulieu, de réaliser un documentaire sur sa mère. On ignore qui est à l'origine de cette initiative, d'un cinéaste en quête d'un sujet sensationnaliste ou de la fille, qui reste de toute façon la première responsable, puisqu'elle avait la garde de sa mère et que cette dernière, bien évidemment, était incapable de donner lucidement son accord.

Mme Salvatori avait déjà pris l'initiative, en 2006, de dévoiler la maladie de sa mère à Paris Match, alors que cette dernière avait depuis longtemps disparu de la scène publique, offrant sa mère en pâture à une succession de photographes dont Girardot ne savait même pas pourquoi ils la photographiaient. Puis la fille a laissé Nicolas Beaulieu suivre sa mère, caméra aux aguets, pendant des mois...

Mme Salvatori a-t-elle reçu quelque chose en échange, pour «vendre» ainsi l'image de sa mère? S'agissait-il plutôt d'une vengeance inconsciente contre une mère trop belle et trop fêtée? On a vu Mme Salvatori à la télé: disons charitablement qu'elle ne ressemble pas à sa mère au même âge. La fille se vengeait-elle d'avoir été négligée, ou pas assez aimée, par une mère tout entière requise par sa carrière et ses amours de passage?

La vengeance, généralement inconsciente, est souvent à l'oeuvre dans l'exposition de la déchéance d'un proche. Le cas le plus flagrant est celui de Simone de Beauvoir, qui a décrit par le menu la déchéance physique et mentale de Jean-Paul Sartre sur son lit de mort - Sartre, l'homme adulé qui l'avait fait passer par toutes les affres de la jalousie, et dont l'ultime trahison avait été d'adopter une jeune femme dont il faisait sa légataire universelle.

Bien sûr, personne ne se reconnaît de pareilles motivations. Ceux qui dévoilent au public les détails les plus pathétiques ou les plus sordides de la maladie de leurs parents ou conjoints prétendent toujours agir au nom de l'amour, de la transparence, pour aider ceux qui passent à travers de semblables épreuves, etc. Ce sont ce qu'on appelle en psychanalyse des «rationalisations», des justifications artificielles recouvrant des motivations beaucoup moins nobles.

Même les parfaits inconnus n'échappent pas à cette indignité. Les journaux sont remplis de récits de proches de victimes de la maladie d'Alzheimer qui ne se soucient même pas de protéger l'anonymat de leurs parents.

Loin d'être les «touchants témoignages» que croient livrer leurs auteurs, il s'agit d'une honteuse exploitation de gens totalement vulnérables. Ces derniers auraient-ils voulu que leur déchéance soit livrée au regard des badauds? Auraient-ils voulu que la seule image publique d'une vie vécue dans l'anonymat soit celle de leur naufrage final?