Dans la flopée de commentaires sur le massacre de Tucson, on n'a guère parlé de Denis Lortie ou de Lee Harvey Oswald. Pourtant, si l'on parle de tentative d'assassinat de politiciens, c'est à ces deux-là qu'il faudrait penser.

Dans la flopée de commentaires sur le massacre de Tucson, on n'a guère parlé de Denis Lortie ou de Lee Harvey Oswald. Pourtant, si l'on parle de tentative d'assassinat de politiciens, c'est à ces deux-là qu'il faudrait penser.

Oswald fut le meurtrier de John F. Kennedy. Le caporal Lortie, en 1984, a fait irruption à l'Assemblée nationale avec une mitraillette, tuant trois employés du parlement. S'il ne s'était trompé sur l'heure d'ouverture des débats, l'hécatombe aurait été encore pire que celle de Tucson, car Lortie avait dans sa mire les députés péquistes et René Lévesque en particulier.

Or, ces deux cas contredisent éloquemment la thèse voulant que le climat politique aux États-Unis soit à l'origine de la tuerie de Tucson. Mais hélas! comme cela se produit à chaque tragédie provoquée par la folie humaine, la récupération politique bat son plein...

On a voulu culpabiliser les hommes en leur disant qu'ils abritaient tous au fond d'eux-mêmes un petit Marc Lépine. Cette fois encore, on remet ça en supputant que Jared Loughner a été influencé par le climat délétère induit par la rhétorique incendiaire du Tea Party et des républicains extrémistes.

Moi aussi je trouve ces derniers détestables, mais ne mélangeons pas tout. Bien avant que Sarah Palin n'ait la vilaine idée de «cibler» littéralement ses adversaires, l'Arizona était l'un des États où l'on peut le plus facilement se procurer des armes semi-automatiques, même si, comme Loughner, on a un lourd casier judiciaire et psychiatrique. Cette culture des armes est un facteur plus important que les imprécations politiques, qui n'ont pas l'importance qu'on leur prête (George W. Bush n'a jamais été victime d'une tentative d'assassinat bien qu'il eût été traité de criminel de guerre sur toutes les tribunes!).

Mais revenons aux meurtres de personnalités politiques. Il y en eut d'innombrables, de Brutus à Ygal Amir (l'assassin de Rabin), qui furent commis par des gens lucides, tout égarés fussent-ils par le fanatisme ou l'ambition.

Avec Lortie, Oswald et Loughner, toutefois, on entre dans l'univers impénétrable de la démence psychotique, n'en déplaise à ceux qui tentent de chercher un sens à l'insensé et une explication rationnelle à la déraison.

Les plus féroces adversaires de Kennedy étaient des réactionnaires furieux de voir un catholique progressiste à la Maison-Blanche. C'était ça, le «climat», en 1963. Or, loin de venir de la droite, Oswald était un compagnon de route de l'URSS. De toute évidence, ses tendances schizoïdes (préalablement diagnostiquées) n'ont pas été activées par les ennemis de Kennedy.

À l'époque où Denis Lortie concevait son projet meurtrier, l'atmosphère politique au Québec n'était aucunement enfiévrée. De fait, la société manifestait beaucoup plus de déférence envers les politiciens qu'aujourd'hui... à moins que l'on ne considère les sorties virulentes d'André Arthur, qui régnait alors sur la radio de Québec, comme des incitations au crime! À ce compte-là, il faudrait interdire la critique, la dissidence, la polémique et l'inflation verbale... bref, réprimer complètement la liberté de parole.

Ne cherchez pas la raison de l'acte de Lortie dans le «climat», cherchez-la dans son cerveau dérangé, dans lequel les politiciens au pouvoir tenaient probablement le rôle du mauvais père, au sens psychanalytique du terme.

Méfions-nous des récupérations politiques. La plus remarquable a été celle à laquelle s'était livrée, après Dawson, la journaliste torontoise Jan Wong. Notant que les tueurs de Poly, Concordia et Dawson étaient tous d'origine étrangère, elle expliquait leur geste par le fait qu'ils avaient été «marginalisés dans une société qui ne valorise que les pures laines»! Cette thèse idiote démontre par l'absurde qu'il est vain d'expliquer la démence individuelle par des conditions sociologiques.