Si le Québec pratiquait la double lecture des mammographies, à l'instar de la France, aurait-on à déplorer aujourd'hui les erreurs des trois radiologues qui font actuellement l'objet de poursuites? Probablement pas.

Si le Québec pratiquait la double lecture des mammographies, à l'instar de la France, aurait-on à déplorer aujourd'hui les erreurs des trois radiologues qui font actuellement l'objet de poursuites? Probablement pas.

Depuis 2004, toutes les mammographies qui se font en France - un pays où la qualité élevée des soins de santé a été saluée par l'Organisation mondiale de la santé - sont examinées par deux radiologues indépendants.

Cela ne se fait pas ici, ni du reste en Amérique du Nord, à l'exception du Nouveau-Brunswick, dans le cadre d'un programme expérimental de contrôle de la qualité, me dit le président de la Fédération des radiologues, le Dr Frédéric Desjardins.

Pourquoi les Québécoises n'ont-elles pas droit, comme les Françaises, à deux lectures? La réponse est simple. La France ayant fait le choix de former énormément de médecins, elle a assez de radiologues pour en affecter deux à la lecture de chaque mammographie. Pour avoir le même système au Québec, il faudrait 20 radiologues de plus qui ne feraient que cela. Or, on le sait, il y a pénurie de médecins au Québec. «Il suffit que trois ou quatre médecins refusent de lire des mammographies pour que le système soit déstabilisé», dit le Dr Desjardins.

Par ailleurs, tant ce dernier que le président de la Fédération des médecins spécialistes, le Dr Gaétan Barrette (qui est lui-même radiologue), relativisent l'importance de la double lecture.

«Cela permet de dépister 13 cancers plutôt que 12 sur 2000 radios analysées», dit le Dr Desjardins, «et cela ne veut pas dire qu'une patiente mourra de ce cancer non détecté. La double lecture représenterait un investissement énorme en plus d'entraîner davantage d'investigations (biopsies, échographies, etc.)».

Il reste que la double lecture représente certainement, comme le dit le Dr Barrette, «une valeur ajoutée». Mais il est irréaliste de croire qu'on peut l'implanter ici.

Autre différence: en France, comme d'ailleurs en Grande-Bretagne, les radiologues qui lisent des mammographies travaillent dans des centres spécialisés où l'on ne fait que cela. Ils deviennent très vite hyperspécialisés, donc, peut-on présumer, plus habiles, alors que nos radiologues lisent de tout (seins, poumons, etc.). Encore ici, c'est une question d'effectifs médicaux. «La France a beaucoup de radiologues, elle doit les faire travailler...», dit le Dr Desjardins.

Il soutient que les résultats indiquent que nos radiologues polyvalents sont « très bons », et que la décentralisation favorise les traitements de proximité et facilite l'organisation des soins.

Il admet toutefois que l'interprétation d'une mammo constitue une tâche bien spécifique, différente de la lecture d'une radio de poumon, par exemple. «Pour la mammo, il faut plus d'attention. On doit fermer la porte, ne pas répondre au téléphone...»

Les jeunes radiologues, confie-t-il, sont moins intéressés par la mammographie : le travail est trop minutieux, trop répétitif, la technologie n'est pas assez flamboyante...

Un radiologue, dans une communication privée, me disait un peu la même chose: «Si on lit une radio de poumon, on recherche quelque chose qui ne doit pas s'y trouver. Un poumon doit contenir de l'air, s'il y a autre chose, c'est anormal. Dans une mammo, par contre, on scrute quelque chose qui s'y trouve normalement, soit du tissu mammaire, mais on recherche des modifications subtiles de son apparence qui peuvent signaler la possibilité d'une pathologie. C'est très différent comme processus de lecture, et certains radiologues ne peuvent le faire. D'où la nécessité de la double lecture.»

Cependant, il est bien clair qu'en raison du manque d'effectifs médicaux, tant la double lecture que la spécialisation en mammographie sont des avenues impossibles à envisager au Québec.