Souhaitons que le ministre de la Justice du Québec en appelle du jugement qui aurait pour effet de marier de force les 1,2 million de couples québécois qui ont choisi de vivre en union libre.

Si jamais la Cour suprême opinait dans le même sens que la Cour d'appel dans l'affaire Lola, il restera toujours la clause dérogatoire, qui s'imposerait d'autant plus que le Québec, au chapitre du droit matrimonial, s'inscrit dans une tradition civiliste différente de la «common law» en vigueur dans les autres provinces.

Le gouvernement n'aura même pas besoin de commanditer un sondage pour savoir quelle décision serait la plus rentable électoralement. Plus du tiers des couples, et fort probablement la grande majorité des couples récemment formés, ont choisi de cohabiter en dehors du carcan juridique: voilà tout un sondage! Un sondage qui repose non seulement sur un échantillon exceptionnellement vaste, mais sur la réalité.

Le ministre devrait écouter ce que disent les femmes qui se sont battues pour préserver leur autonomie. Elles sont enragées, avec raison, contre le paternalisme et le misérabilisme d'arrière-garde qui suintent de la décision de la Cour d'appel.

La cause de Lola, pour qui la cohabitation avec le fameux «Éric» a été un passeport pour la richesse et qui vit déjà dans un luxe inouï, était bien la pire qu'on puisse imaginer quand on prétend défendre la veuve et l'orphelin. Me Anne-France Goldwater et ses acolytes prétendent se porter au secours, au-delà de Lola, des malheureuses concubines qui se retrouvent, après une vie d'abnégation, sans pension alimentaire pour elles-mêmes. Fort bien. Mais si ce problème est d'une telle gravité, pourquoi alors ces avocats n'ont-ils pas pris pro-bono, c'est-à-dire gratuitement, la cause d'une de ces femmes démunies dont ils affirment qu'elles sont très nombreuses?

Pourquoi? Était-ce parce que la cause de Lola, dont le nouveau compagnon (un autre homme richissime) assume les coûts faramineux de ces procédures, était une mine d'or pour la batterie d'avocats qui l'a défendue? Il y avait au dossier Me Goldwater elle-même, sa collègue Marie-Hélène Dubé, de même que Me Guy Pratte et Mark Philips, deux brillants avocats très connus dont les honoraires sont inabordables pour le commun des mortels. Mais comme cause-type, on aura vu mieux.

J'entendais l'autre jour Me Goldwater, qui décidément ne doute de rien, dire à la radio que le fait d'assujettir les conjoints de fait à l'obligation de la pension alimentaire les forcerait à «travailler sur leur couple», autrement dit à s'assurer que leur union sera durable. Non, mais de quoi je me mêle? L'État-nounou devrait maintenant régir la vie affective des citoyens?

L'argument central de la Cour d'appel vise d'ailleurs à accommoder l'État plutôt que les citoyens: la pension alimentaire serait une façon d'«alléger le fardeau de l'État» ! Où s'arrêtera-t-on?

Mettons fin à cette vilaine comédie. Le Québec a déjà bien assez de cette loi sur le partage du patrimoine familial qui constitue une intolérable intrusion de l'État dans la vie privée et qui est fort probablement l'une des raisons pour lesquelles tant de couples refusent de se marier. L'union de fait constitue leur seule protection contre les abus qu'entraîne la loi sur le patrimoine.

S'il faut maintenant transformer l'union de fait en simili-mariage, les Québécois seraient pénalisés des deux côtés, d'une part par le patrimoine prévu au Code civil, d'autre part par une disposition calquée sur le régime coutumier des autres provinces (lesquelles autorisent l'octroi d'une pension au concubin, mais n'ont pas de loi sur le partage du patrimoine.)