Il y a des erreurs urbanistiques impardonnables. Le déménagement de la maison de Radio-Canada dans l'est de Montréal en est une. Cette décision a privé le centre-ville d'un immense foyer de culture française, sans même revitaliser l'ancien «faubourg à m'lasse» dont Jean Drapeau espérait faire une «Cité des ondes».

Il y a des erreurs urbanistiques impardonnables. Le déménagement de la maison de Radio-Canada dans l'est de Montréal en est une. Cette décision a privé le centre-ville d'un immense foyer de culture française, sans même revitaliser l'ancien «faubourg à m'lasse» dont Jean Drapeau espérait faire une «Cité des ondes».

La SRC est l'un des principaux navires amiraux de la culture française au Québec. Si on l'avait maintenue dans le secteur où elle se trouvait jusqu'en 1973, on aurait actuellement au centre même de Montréal un foyer dynamique de culture française: des milliers de travailleurs, d'intellectuels, de décideurs et d'artistes francophones qui auraient chaque jour essaimé dans le coeur commercial et cosmopolite de Montréal, une effervescence culturelle qui aurait constitué un puissant contrepoids aux deux universités anglaises et aux grands bureaux d'affaires où l'anglais est roi.

Ne nous leurrons pas. Le centre-ville de Montréal n'est pas boulevard Saint-Laurent, encore moins rue Saint-Denis. Son point culminant, aujourd'hui comme hier, est à l'angle des rues Peel et Sainte-Catherine. Or, l'ancien hôtel Ford où logeait naguère Radio-Canada était tout près de là, à l'angle de la rue Bishop et du boulevard Dorchester (rebaptisé depuis René-Lévesque). Il aurait suffi d'exproprier des bâtiments commerciaux pour bâtir à neuf de nouveaux locaux pour Radio-Canada. Les terrains du secteur sont maintenant occupés par de grandes banques et par l'Université Concordia.

On ne dénoncera jamais assez la mentalité frileuse et étriquée qui a poussé tant de décideurs francophones à installer leurs institutions dans l'est, - du Palais des congrès au CHUM, en passant par l'UQAM et la Grande Bibliothèque, laquelle aurait pu loger dans l'ancien et très bel édifice Art Déco d'Eaton... et renforcer du même coup la présence française au coeur de la métropole.

Ce repli vers l'est allait consacrer l'abandon du centre-ville aux anglophones, comme si les francophones n'osaient pas occuper fièrement tout l'espace de la métropole... ce qui pourtant aurait bien été dans la logique de la loi 101.

Ce retrait préfigurait du grand mouvement d'exil des francophones vers la banlieue d'outrepont, dont on sait le dommage qu'il cause déjà au caractère français de Montréal.

Certes, nombre de francophones fréquentent le centre-ville. Tous les commerçants, sauf de rares exceptions, vous accueillent en français. Beaucoup d'institutions «wasp» (le Montreal Athletic Association, le Mount Stephens Club) se sont francisées. Mais privé de centre de rayonnement de culture française, ce secteur névralgique ne peut nourrir des commerces francophones.

Renaud-Bray a tenté à deux reprises de s'y implanter, rue Peel puis rue Sainte-Catherine Ouest, mais a dû successivement fermer ces deux succursales. Ne subsistent aujourd'hui que les petites sections françaises des librairies Chapters et Indigo, telles des aumônes à la culture majoritaire du Québec.

Dans ce quartier cosmopolite, les restaurants abondent, mais on n'en trouve à peu près pas qui s'inscrivent vraiment dans la tradition française, mis à part le prestigieux Européa, Chez Alexandre et Le Paris, rue Sainte-Catherine Ouest. Ce bistrot tient bravement le coup depuis l'époque où il était l'antre préféré des comédiens et réalisateurs de Radio-Canada, seul mini-bastion de francophonie dans un quartier envahi par Concordia.

Pendant ce temps, la tour de Radio-Canada se dresse, isolée derrière ses stationnements, avec vue sur la brasserie Molson, dans un quartier qu'on a dévasté en pure perte. Loin de revitaliser le secteur, le transfert de Radio-Canada n'a fait qu'accroître sa désolation. Une fois expulsés les 1200 habitants qui l'animaient naguère, le quartier n'a rien reçu en échange à part un ou deux petits restaurants.

Bref, des deux côtés, un gâchis: une perte irréparable pour le centre-ville, et la démolition d'un quartier populaire...