Échange de courriels avec une amie française qui travaille ces temps-ci à New York. Je lui demande si elle est contente d'avoir échappé à la rébellion contre la retraite à 62 ans.

Échange de courriels avec une amie française qui travaille ces temps-ci à New York. Je lui demande si elle est contente d'avoir échappé à la rébellion contre la retraite à 62 ans.

Réponse: «Je ne dis plus que je suis Française. Je me présente comme Canadienne, car je suscite l'hilarité dès que je décline ma nationalité.»

Il y a de quoi rire, en effet, quand on voit des lycéens hurler: «On veut garder nos pensions!», et quand des jeunes de 15 ans se font leur propre petit «mai 68», non pas cette fois pour «changer la vie» mais pour pouvoir, dans... 45 ans, prendre leur retraite à 60 ans!

Heureusement, en France, tout finit par des vacances. Le congé de la Toussaint a fermé les lycées et interrompu la fête, en privant les manifestants antigouvernementaux de leur principal fer de lance, comme s'il était légitime de se servir de cette belle masse d'ados qui ne rêvent que de louper l'école pour faire avancer les revendications des adultes. Ségolène Royal s'est distinguée, à ce chapitre, en appelant les jeunes à descendre dans la rue... alors qu'elle-même partait en vacances à Venise.

Il y a 11 congés fériés en France, tous allongés par le bienheureux mécanisme des «ponts». On fête même, ô laïcité ouverte!, non seulement la Toussaint, mais la Pentecôte, l'Ascension et l'Assomption. Et c'est sans compter les vacances scolaires, lors desquelles tout le pays ferme boutique chaque fois pendant deux semaines: vacances de la Toussaint, vacances de Noël, vacances d'hiver, vacances de printemps... Cette soif inextinguible de loisirs débouche plus tard sur la retraite à 55 ans, qui est le lot de la plupart des fonctionnaires - un luxe dont la France n'a pas les moyens et une aberration, dans un monde où la retraite est fixée presque partout au-delà de 65 ans.

Notons aussi que la loi qui reportera à 62 ans l'âge de la retraite sera appliquée si graduellement qu'elle ne prendra vraiment effet qu'en 2018. L'accès aux vacances perpétuelles ne sera retardé, ces prochaines années, que de quelques mois...

On dira que la grande fureur qui a paralysé la France pendant un mois tenait tout autant à la hargne anti-Sarko qu'à la question des retraites, et c'est vrai. On en veut beaucoup au président, pour toutes sortes de raisons. Mais il reste que l'enjeu officiel et moult fois répété de ces mouvements de grève, c'était ce léger allongement de la durée du travail qui ne reflète même pas l'allongement phénoménal de la durée de vie dont l'on jouit maintenant.

Le vent de folie a même contaminé des analystes généralement sensés. Jacques Julliard du Nouvel Observateur accouchait récemment d'une théorie assez stupéfiante : constatant l'indéfectible attachement des Français à leurs vacances, leurs congés fériés et leurs retraites prématurées, le chroniqueur affirme que les Français ne sont heureux qu'en dehors du travail.

Comme la vie, «la vraie vie», commence à 60 ans, «le report de deux ans de cette seconde naissance, écrit-il, est vécu par les Français comme une véritable agression existentielle contre leur genre de vie et l'idée qu'ils se font du bonheur».

Ce mode de vie ludique, à l'évidence, mène à la surconsommation, mais en bon homme de gauche, Julliard retourne l'affaire à l'envers et, recyclant une vieille thèse de Marcuse, proclame au contraire que l'avènement de cette civilisation des loisirs dont la France serait l'avant-garde constitue «une défaite sans précédent pour la civilisation industrielle et la société capitaliste». Pardon?

Vent de folie, vous disais-je.